- 1.
Trois
passages-clés de l’Écriture permettent d’appeler Marie «
nouvelle Ève » :
- le dit «
Protévangile », adressé par Dieu au serpent : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité : celle-ci t'écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon
» (Genèse 3,
15) ;
- la vision du
Christ comme « nouvel Adam » (Romains 5, 20)
développée par saint Paul a amorcée l’opposition Ève-Marie : le Christ, engendré par Marie, répare la faute commise par Adam ;
- dans
l’Évangile de
Jean Marie n’est jamais désignée par son nom,
mais Jésus l’appelle du nom de « Femme » ; en plus de signifier que le temps des relations filiales est achevé, il renvoie à la Genèse, et au texte de l’Apocalypse où la « Femme », la Mère du Messie, combat contre le dragon, ainsi assimilée à l’antique Ève dans sa lutte contre le
serpent.
1°/ Une femme est
annoncée dès la Genèse dans le combat
contre le mal universel
Dans le texte
de Genèse 3,5 Dieu
s’adresse au serpent des origines : « Je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t’écrasera la tête et tu l’atteindras au
talon ».
Un commentaire
autorisé relève à quel point : « Il est significatif que l’annonce du rédempteur, du sauveur du monde, contenue dans ces paroles, concerne « la femme ». Celle-ci est nommée à
la première place dans le protévangile, comme ancêtre de celui qui sera le rédempteur de l’homme. Et si la rédemption doit s’accomplir par la lutte contre le mal, par l’hostilité entre le lignage
de la femme et le lignage de celui qui, comme « père du mensonge » (Jean 8,44), est le premier auteur du péché dans l’histoire de l'homme, ce sera aussi l’hostilité entre lui et la femme. Dans ces paroles s’ouvre la perspective de toute la révélation, d’abord comme préparation
à l'Evangile, puis comme l’Évangile lui-même. Dans cette perspective, les deux figures de femme : Ève et Marie, se rejoignent sous le nom de la femme » (saint Jean-Paul II, lettre
apostolique Mulieris
dignitatem, n°
11).
Première annonce
d’une victoire sur le mal, cette parole divine est couramment appelée le « protévangile », c’est à dire la première bonne nouvelle du
salut
Or, ce verset
biblique du protévangile devait connaître une étonnante résonance liée à des vicissitudes de traduction. Le texte hébreu en effet semblait dire que la postérité de la femme écraserait la tête du
serpent. Autrement dit, le mal serait vaincu par le peuple issu de la première Ève. Mais déjà la traduction grecque appelée Septante (LXX, IIIe siècle
avant Jésus-Christ) semble insinuer que ce serait un descendant d’Ève qui terrasserait le serpent. C’était infléchir le texte dans un sens plus nettement messianique. Un fils d’Ève sera vainqueur
du mal.
La traduction
latine de saint Jérôme connue sous le nom de Vulgate allait quant à elle orienter dans un sens marial l’exégèse de ce même verset
On lisait en
effet : « Inimicitias ponam inter te et mulierem et semen tuum et semen illius ; ipsa conteret caput tuum et tu insidiaberis calcaneo
eius. » Le pronom personnel
féminin ipsa, que nous avons
souligné, ne peut se rapporter qu’à mulier, la
femme. Autrement dit, pour la Vulgate, Dieu promet que c’est la femme elle-même, et non plus sa descendance, qui écrasera la tête du serpent. Toute la tradition latine allait donc interpréter ce verset dans le
sens d’une prédiction de la Vierge Marie, femme qui foule au pied le mal. C’est la source de l’abondante iconographie qui présente Marie piétinant l’antique serpent satanique. On comprend que
cette interprétation du texte biblique préparait l’adoption du dogme de l'Immaculée Conception. Il était clair que la Vierge Marie était cette femme victorieuse du péché annoncée par Dieu
lui-même dans le protévangile.
2°/ Le Nouveau
Testament établit la comparaison du Christ avec Adam et c’est à partir de là que l’on en est venu à penser l’opposition Ève-Marie
Saint Paul
développe un parallèle entre Adam et le Christ (cf. Romains 5,12-21 ; 1 Corinthiens 15,22).
Comme le déclarait le pape Jean-Paul II, « auprès de toutes les générations, dans la tradition de la foi et de la réflexion chrétienne sur la foi, le rapprochement entre Adam et le Christ va
souvent de pair avec le rapprochement entre Ève et Marie ».
Le Christ,
engendré par Marie, est le nouvel Adam qui répare la faute commise par celui-ci
« C’est de
la descendance d’Abraham qu’il se charge » (Hébreux 2,16). Or, par Jésus-Christ nous sommes « descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse » (Galates 3,29). Et, à partir de cet ancêtre, nous rejoignons Adam. « Le Logos visite Adam dans le sein de la Vierge Mère »
(saint Hippolyte, Fragment de la grande Ode).
Pour saint Basile de Césarée (329-379), « de même que le premier Adam n’est pas né d’un homme et d’une femme, mais a été formé de la terre, de même le dernier Adam, qui devait guérir la
blessure du premier, a pris un corps dans le sein de la Vierge, pour être, quant à la chair, égal à la chair de ceux qui ont péché » (Commentarius in
Isaïam 7,
201).
3°/ Jésus
lui-même renvoie à la Genèse quand il appelle
sa Mère du titre de « Femme »
D’autre part,
nous remarquons qu’aux noces de Cana (Jean 2,4), comme au
Calvaire (Jean19,26), Marie est appelée
« Femme » par Jésus. Ces deux passages ont en commun qu’il y est question de « l’heure » de Jésus, qui arrivera avec sa Passion glorieuse. L’évangéliste parle de Marie comme
de la « Mère de Jésus », mais Jésus lui-même l’appelle « Femme », terme inusité dans la bouche d’un fils et qui renvoie incontestablement à la « femme » du
protévangile, faisant de Marie le contrepoint d’Ève. En effet, l’Évangile selon saint Jean considère la Maternité divine de Marie, non seulement dans son rapport immédiat avec le Christ, tête du
Corps mystique de l’Église, mais aussi par rapport à tous les membres de ce corps. C’est pourquoi les auteurs voient dans ce nom une allusion au protévangile
de Genèse 3,15 qui, nous
l’avons dit, annonce le triomphe de la femme et de sa descendance sur le démon.
En employant le
terme « femme », Jésus « tient à signifier [à Marie] que le temps des relations familiales humaines est achevé »
Jésus « ne
peut plus être considéré comme le fils humain de Marie, et la Vierge a cessé son rôle de mère humaine de Dieu. […] Le temps de la Theotókos (littéralement : "génitrice de Dieu", habituellement traduit par "Mère de Dieu") est achevé ; vient celui de
l’Église-Épouse qui sera la vraie parenté définitive du Fils de Dieu. Marie doit passer de sa fonction de mère de Jésus à celle de femme dans l’Église. Mais, ce titre de « Femme » que
lui donne Jésus, à la place de celui de « Mère » a un caractère solennel. […] Comme mère, Marie passe de la fonction de Mère de Dieu à celle de Figure de l’Église, du rôle humain et
spirituel de mère humaine du Messie, au rôle purement spirituel de femme croyante dans l’Église » (Max Thurian).
Marie est aussi
évoquée dans le « signe grandiose » de la Femme qui apparaît au Ciel au livre de l’Apocalypse (Apocalypse 12,1)
Dans la
révélation de l’Apocalypse, Marie sera
associée à la royauté universelle de son Fils : « Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme ! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles
couronnent sa tête » (Actes des Apôtres 12,1).
« La grâce qui parvient à l’humanité à travers Marie est beaucoup plus abondante que les dommages qui proviennent du péché de nos premiers parents. En Marie, comme en aucune autre créature
humaine, nous voyons le triomphe de la grâce sur le péché, nous voyons s’accomplir la prophétie de la Genèse de la descendance de la femme qui écrase la tête du serpent infernal » (Jean-Paul
II, Homélie à
Sainte-Marie-Majeure, 8 décembre 1985). Paul
VI le confirme dans son exhortation apostolique Signum Magnum (1967) : « Le grand signe que l’apôtre saint Jean contempla dans le ciel, la femme revêtue de soleil, est à juste titre dans la sainte liturgie de l’Église
catholique interprétée de la Bienheureuse Vierge Marie, par la grâce du Christ Rédempteur, Mère de tous les hommes ».
- 2.
Historiquement, c’est Justin qui, le premier, a développé le rapprochement, puis Irénée a beaucoup enrichi l’idée. Tertullien et beaucoup de Pères de l’Église l’ont ensuite reprise largement. Le titre de « nouvelle Ève » apparaît explicitement pour la première fois dans une homélie africaine et il s’est finalement imposé au sujet de Marie comme « le grand enseignement rudimentaire de l’Antiquité chrétienne » (cardinal Newman, Lettre à Pusey).
Ève apparaît ainsi comme le « type » de Marie
Par typologie, on entend l’interprétation de l’Écriture qui « discerne dans les œuvres de Dieu sous l’Ancienne Alliance des figurations de ce que Dieu a accompli dans la plénitude des temps, en la personne de son Fils incarné » (Catéchisme de l’Église Catholique, n° 128).
La typologie « Ève-Marie » a été proposée en premier par l’apologète saint Justin, mais l’antithèse n’est pas explicitement mentionnée
Dans son Dialogue avec Tryphon (v. 150), il écrit que « la désobéissance dont le diable avait été le principe prit fin de la même façon qu’elle avait commencé. Vierge encore et sans corruption, Ève reçut dans son cœur la parole du serpent et, par là, enfanta la désobéissance et la mort. Mais Marie, la Vierge, l’âme pleine de foi et d’allégresse, répondit à l’ange qui lui annonçait l'heureux message : Qu’il me soit fait selon votre parole ! C’est d’elle qu’est né celui par qui Dieu renverse le serpent, ainsi que les anges et les hommes qui lui ressemblent, tandis qu’il délivre de la mort ceux qui font pénitence de leurs fautes et qui croient en lui ». Mais l’antithèse n’est pas explicitement mentionnée. Elle ne l’est pas davantage chez Rupert de Deutz (v. 1075-1129), moine et théologien allemand, qui reprend l’idée justinienne : « Lorsque la Bienheureuse Vierge engendra son Fils, le Christ, c’est alors que Sion donna le jour à l’enfant mâle » (De Trinitate et operibus eius 1,62).
Saint Irénée (130-v. 208), évêque de Lyon, perfectionne la doctrine
Pour saint Irénée, « il n’est d’autre manière de délier ce qui a été lié sinon de reprendre en sens inverse les entrelacs du nœud. [...] C’est ainsi que le nœud de la désobéissance d’Ève a été défait par l’obéissance de Marie ; car ce que la Vierge Ève avait lié par son incrédulité la Vierge Marie l’a délié par sa foi » (Contre les hérésies 3,23).
Tertullien (v. 156-v. 220) reprend le thème de Marie nouvelle Ève
Selon lui, « il est logique de penser que Dieu a repris possession de lui [l’homme], son image et ressemblance devenue captive du diable, par un processus opposé à celui de la perdition. En effet, dans Ève encore vierge était survenue une parole édificatrice de mort ; de la même manière, il fallait que dans une Vierge entrât le Verbe de Dieu, édificateur de vie ; et ainsi, par le même sexe, retourne au salut ce qui tomba dans la perdition. Ève avait cru au serpent ; Marie crut à l’ange. Ce péché que l’une commit en croyant, l’autre le détruisit en croyant. On pourrait objecter qu’Ève n’a pas conçu dans son sein à la parole du diable. Mais elle a réellement conçu ! La parole du diable fut, en effet, la semence d’où résulta que, depuis lors, elle enfanterait dans l’abjection et la douleur. Enfin elle a enfanté le fratricide diabolique [Caïn]. Marie, au contraire, a mis au monde celui qui donnerait le salut à son frère selon la chair, Israël qui, pourtant, devait être son meurtrier » (De la chair 17).
C’est ainsi que l’humanité a reçu « la mort par Ève, la vie par Marie » (saint Jérôme, Épître 22, 21)
Pour saint Proclus de Constantinople (390-446), « par Marie Ève est guérie » (Oratio 1), thème repris par saint Maxime de Turin (v. 430-v. 470). Recourant à la parabole de la femme qui mêle du levain à la pâte (cf. Matthieu 13,33), saint Pierre Chrysologue (v. 380-450/451), évêque de Ravenne, compare Ève qui, par son fermentum perditiæ, son « levain de perdition », pétrit un pain de gémissements et de sueurs, tandis que Marie, par son fermentum fidei, son « levain de foi », nous donne un pain de vie et de salut (cf. Sermon 99). En mettant en évidence l’impact social et les effets universels de l'adhésion de la Vierge au projet salvifique de Dieu, cette typologie contribue au développement du culte d’invocation, comme en témoigne, par exemple, ce texte de saint Bernard : « Ô Vierge, noble rameau, Tige de Jessé, par laquelle a été guéri sur les branches ce qui avait péri par la racine. La racine de l’amertume, c’est Ève, la racine de la douceur maternelle, c’est Marie » (Tractatus ad laudem gloriosæ Virginis). Mais elle se trouve déjà dans l’hymne Ave maris Stella, attribuée à Venance Fortunat (530-609) : « Vous à qui l’archange Gabriel a dit aussi : Salut, établissez-nous dans la paix, et soyez notre nouvelle Ève. » Dans la légende du Miracle du moine Théophile, venue d’Orient et traduite par le diacre Paul et mise en vers par l’abbesse Hrotswitha, nous assistons au conflit entre le bien et le mal, qu’arbitre Marie, la Nouvelle Ève. Rutebeuf (XIIIe siècle) en fait un drame. Le titre de « nouvelle Ève » apparaît explicitement comme tel pour la première fois dans une homélie africaine du VIe siècle.
« La comparaison Ève-Marie est un des thèmes fréquemment repris par les Pères » (Jean-Paul II)
« La comparaison entre Ève et Marie peut
se comprendre aussi dans le sens que Marie assume en
elle-même et fait sien le mystère de la femme dont
le commencement est Ève, « la mère de tous les vivants » (Genèse 3,20) : avant tout, elle l’assume et le fait sien à l’intérieur du mystère du Christ, « nouvel et dernier Adam » (cf.
1 Corinthiens 15,45), qui
a assumé en sa personne la nature du premier Adam » (saint Jean-Paul II, lettre apostolique Mulieris dignitatem, n° 11). De fait, souligne encore le pape Jean-Paul II, nous constatons que « la comparaison Ève-Marie revient
constamment au cours de la réflexion sur le dépôt de la foi reçue de la Révélation divine, et c’est l’un des thèmes fréquemment repris par les Pères, par les écrivains ecclésiastiques et par les
théologiens. Habituellement, c’est une différence, une opposition qui ressort de cette comparaison. Ève, mère de tous les vivants, est le témoin du commencement biblique, dans lequel sont contenues la vérité sur la création de l’homme à
l’image et à la ressemblance de Dieu, et la vérité sur le péché originel. Marie est le témoin du nouveau commencement et de la « création nouvelle » (cf. 2 Corinthiens 5,17). Bien plus, elle-même, première rachetée dans l’histoire du salut, est une « création nouvelle » : elle
est la « comblée de grâce » (Ibid). Marie est la Nouvelle
Ève comme Jésus est le Nouvel Adam. Cette vérité si essentielle pour le dogme marial est selon les mots de Newman « le grand enseignement rudimentaire de l’antiquité chrétienne »
(Lettre à
Pusey).
- 3.
Saint Irénée insistera notamment sur le concept clé de recirculatio (en latin, « mouvement à rebours ») qui ramène l’humanité à la sainteté originelle. « Le nœud de la désobéissance d’Ève a été dénoué par l’obéissance de Marie : ce que la vierge Ève lia par son incrédulité, la foi de la Vierge Marie le délia » (Contre les hérésies, III, 22, 4, cité par Vatican II) : ce qui a été lié ne peut être délié que si l'on refait en sens inverse les boucles du nœud.
« Le nœud de la désobéissance d’Ève a été dénoué par l’obéissance de Marie : ce que la vierge Ève lia par son incrédulité, la foi de la Vierge Marie le délia » (saint Irénée)
Le concile Vatican II a résumé la question en affirmant que, « comme le dit saint Irénée, « en obéissant, [la Vierge Marie] est devenue cause du salut pour elle-même et pour tout le genre humain ». Et, avec Irénée, bien des anciens Pères affirment volontiers, dans leur prédication, que « le nœud de la désobéissance d’Ève a été dénoué par l’obéissance de Marie ; ce que la vierge Ève lia par son incrédulité, la foi de la Vierge Marie le délia » ; et par comparaison avec Ève ils appellent Marie « Mère des vivants », et affirment très souvent : « La mort nous est venue par le moyen d'Ève, la vie par celui de Marie ». » (constitution dogmatique Lumen gentium, n° 56)
Nous avons là aussi l’origine de la dévotion à Marie qui défait les nœuds
Cette image a été admirablement peinte par un artiste inconnu et est vénérée depuis 1700 dans l’église Saint-Peter-am-Perlack, à Augsbourg, Allemagne. Nous savons que le pape François a une dévotion particulière envers Marie qui défait les nœuds.
La recirculatio (en latin, « mouvement à rebours ») ramène l’humanité à la sainteté originelle « car ce qui a été lié ne peut être délié que si l'on refait en sens inverse les boucles du nœud »
La séduction du diable, « dont avait été
misérablement victime Ève, vierge déjà promise à un mari, a été dissipée par la bonne nouvelle de vérité magnifiquement annoncée par l’ange à Marie, vierge déjà en pouvoir de mari » (saint
Irénée, Contre les
hérésies 5,19,1). C’est ce que saint Irénée
appelle la recirculatio, littéralement,
en latin, « mouvement à rebours », qui ramène l’humanité à la sainteté originelle. « Car ce qui a été lié ne peut être délié que si l'on refait en sens inverse les boucles du
nœud. » (Contres les
hérésies 3,22,4). Marie joue donc un rôle
analogue à celui d’Ève aux origines de l’humanité, Ève qui est la Mère des vivants (Genèse 3,20) et l’épouse d’Adam, son « aide » (Genèse 2,18). Selon le symbole développé par saint Irénée, le mal contracté par les origines est vaincu par un circuit inverse (re-circulation) : le Christ reprend
Adam ; la croix, l'arbre de la chute, Marie reprend Ève. Chacun des éléments gâtés au moment de la chute est renouvelé à la racine. Au XIIe siècle, le titre de nouvelle Ève va se trouver rattaché à la maternité spirituelle de Marie par le biais de la recirculatio.
- 4.
Le parallélisme antithétique développé entre Ève et Marie sera capital pour l'intégration de Marie dans l'histoire du salut : aux moments de la chute et de l’Annonciation, une vierge pose un acte moral qui engage le salut de toute l'humanité. Les oppositions ont rapidement été multipliées par les théologiens : ange, serpent ; obéissance, désobéissance ; foi, crédulité ; Croix et fruit béni, arbre de vie et fruit défendu, etc. Cette antithèse montre l'unité du plan salvifique de Dieu que Vatican II résume par la formule d’Irénée : « Par Ève la mort, par Marie la vie ».
Les deux scènes du péché d’Ève et de l’Annonciation à Marie se répondent de manière antithétique
À la parole du serpent (Satan, l’ange déchu) Ève avait désobéi à Dieu en cueillant le fruit maudit du péché. À la parole de l’archange Gabriel, Marie a obéi à Dieu en donnant le fruit béni de son sein. Toute l’iconographie chrétienne a médité le rapport de ces deux scènes. Que l’on songe aux Annonciations de Fra Angelico qui comportent le plus souvent en arrière fond la présence d’Adam et Ève chassés du paradis terrestre par l’ange armé du glaive (Genèse 3,24). Quand les artistes n’ont pas représenté Adam et Ève, ils ont quand même placé dans leur Annonciation un détail qui rappelle cette référence à la Genèse : ce peut-être un personnage ou un animal du bestiaire de Satan (chat, blaireau, singe, etc.), mais le plus souvent une pomme, fruit défendu, rappel limpide du péché d’Adam et d’Ève [bien qu’il ne soit pas question de pomme dans le récit inspiré, mais de pomma, c’est-à-dire d’un fruit en latin].
L’obéissance s’oppose à la désobéissance
Adam, tenté par Satan, désobéit et chuta. Le Christ, tenté lui aussi par Satan, resta fidèle, pour que là où le péché avait abondé, surabondât la grâce. D'une manière analogue au rapport Adam-Christ et dans le même contexte, saint Irénée développe l'antithèse Ève-Marie déjà ébauchée par Justin : « Parallèlement au Seigneur, on trouve aussi la Vierge Marie obéissante, lorsqu'elle dit : Voici ta servante, Seigneur ; qu'il me soit fait selon ta parole (Luc1,38). Ève, au contraire, avait été désobéissante : elle avait désobéi, alors qu'elle était encore vierge. Car, de même qu'Ève, ayant pour époux Adam, et cependant encore vierge - car, pour les Pères de l’Église, Ève était encore vierge au moment où le serpent cherche à la détourner du droit chemin - de même donc qu'Ève en désobéissant, devint cause de mort pour elle-même et pour tout le genre humain, de même Marie ayant pour époux celui qui lui avait été destiné par avance et cependant Vierge devint, en obéissant, cause de salut (cf. Hébreux 5,9) pour elle-même et pour tout le genre humain.
La bénédiction s’oppose à la malédiction
Celle-là engendre la malédiction dans la douleur ; celle-ci assure la bénédiction dans le salut : « Si, en effet, celle-ci a fait entrer dans le monde la loi de la mort, celle-là lui a présenté la vie. L’une par sa prévarication nous a perdus ; l’autre par son enfantement nous a sauvés. La première par le fruit de l’arbre nous a frappés à la racine ; la seconde a porté sur sa tige la fleur qui devait nous ranimer de son parfum, nous guérir avec son fruit. Celle-là engendre la malédiction dans la douleur ; celle-ci assure la bénédiction dans le salut. La perfidie de celle-là donna son assentiment au serpent infernal, trompa son époux, perdit sa race ; l’obéissance de celle-ci lui concilia le Père, mérita le Fils, paya la dette de sa postérité » (préface de la messe en Gaule, ex Missa in Assumptione).
Le fruit béni est opposé au fruit défendu
Marie nous enfante à la vie surnaturelle en cueillant ce fruit sur l’arbre de la croix. Elle accepte dans son cœur de compassion, le sacrifice de son Fils. Nouvelle Ève, elle cueille ce fruit sur l’arbre de la croix, non plus pour notre perte, mais pour notre salut. En la personne du disciple que Jésus aimait, elle reçoit toute l’Église acquise par Jésus au prix de son sang et en devient la mère.
Le nouvel Adam, est né lui aussi, comme Adam, d’une terre vierge
Si Adam fut créé par la terre-vierge, non encore travaillée, donc par la vertu et la puissance de Dieu (cf. Genèse 2,4b-7), le nouvel Adam aussi doit avoir ses origines d'une terre-vierge, par la même puissance et la vertu de Dieu. Marie est cette terre-vierge dont Christ se fait « premier-né » :
« Or, d'où provenait la substance du premier homme ? De la volonté et de la sagesse de Dieu et d'une terre vierge : « car Dieu n'avait pas encore fait pleuvoir », dit l'Écriture, avant que l'homme fut fait, « et il n'y avait pas encore d'homme pour travailler la terre » (Genèse 2,25). C'est donc tandis qu'elle était encore vierge que « Dieu prit du limon de la terre et en modela l'homme » (Genèse 2,7) pour qu'il fut le point de départ de l'humanité. Comme c'était cet homme même qu'il récapitulait en lui, le Seigneur reçut donc une chair formée selon la même « économie » que celle d'Adam en naissant d'une Vierge par la volonté et la sagesse de Dieu, afin de montrer lui aussi une chair formée d'une manière semblable à celle d'Adam et de se faire cet homme même dont il est écrit qu'il était, à l'origine, à l'image et à la ressemblance de Dieu. » (Irénée de Lyon, Démonstration de la Prédication apostolique, 32, par A. Rousseau, dans Sources chrétiennes, 406, Cerf, Paris, 1995, p. 129).
Saint Jean peut aussi être comparé à Seth
À la croix, Marie reçoit un nouveau fils à la place de celui qui est injustement mis à mort. Aussi peut-elle dire comme l’antique Ève : « Dieu m’a accordé une autre descendance à la place d’Abel puisque Caïn l’a tué » (Genèse 4,25). Jésus, dont le sang crie plus fort que celui d’Abel (cf. Hébreux 12,24) fait de Marie la nouvelle Ève qui reçoit Seth pour devenir la Mère des vivants.
Les Pères de l’Église présentent aussi différents antitypes d’Ève : Sara, Marie-Madeleine, Marthe, Félicité, Perpétue et les premières martyrs
Par exemple, la personne de Sara, l’épouse
d’Abraham, qui « engendre des enfants non dans la tristesse, mais dans l’exultation » (saint Ambroise, De Institutione virginum 32), Marie-Madeleine, qui s’attache au Christ, l’arbre de vie véritable et se couvre, non de feuilles de figuier, mais
du vêtement de la grâce (cf. saint Hippolyte, Sur le Cantique des cantiques 15,3,1-4), thème qui devient très fréquent chez les Pères des IVe et Ve siècle, ou encore les martyrs sainte Félicité et sainte Perpétue, « deux femmes qui
ont terrassé l’ennemi qui par une femme avait terrassé l’homme » (saint Augustin, Sermon 281,1), Marthe, la sœur de Lazare, qui court vers le Seigneur pour arracher un homme à la mort, contrairement à la femme qui a
couru à la faute et a causé la mort de l’homme (saint Pierre Chrysologue, Sermon 64), les deux Marie, premiers témoins de la résurrection du Seigneur (id, Sermon 77).
- 5.
La « nouvelle Ève » est aussi analogiquement l’Église, Épouse du Christ, née de son côté transpercé quand Jésus fut endormi dans la mort (en parallèle à Genèse 2,21). Marie et l’Égliseapparaissent ensemble comme véritable « Mère des vivants » (Genèse 3,20) et leur identification par le biais de la nouvelle Ève est très ancienne. Marie a prononcé le oui de l'Église, Épouse du Christ. « Entre Marie et l’Église, il existe une conformité de nature », dira Benoît XVI (Homélie au Consistoire, 25 mars 2006), et Vatican II développera le thème de Marie « icône de l’Église » (encyclique Lumen Gentium n°63 et 6).
La nouvelle Ève est aussi l’Église née du côté du Christ
Il se trouve, en effet, que ce parallèle Marie-Ève a fusionné par la suite avec celui de Marie-Église. La nouvelle Ève est aussi l’Église née du côté du Christ, ce que déclare le concile de Vienne, en 1312 : le Verbe de Dieu « a enduré que son côté fût transpercé par une lance, afin que, du flot d’eau et de sang qui s’en écoulait, fût formée la sainte Mère l’Église, unique, immaculée et vierge, épouse du Christ, à l’image d’Ève qui a été formée à partir du côté du premier homme endormi pour devenir son épouse, de sorte que, à la figure du premier et ancien Adam qui, selon l’Apôtre, « est la figure de celui qui devait venir » (Romains 5,14), répondît la vérité en notre nouvel Adam, à savoir dans le Christ » (concile de Vienne, constitution Fidei catholicæ). La Femme de l’Apocalypse, qui crie dans les douleurs de l’enfantement, représente certainement à la fois Marie et l’Église, selon la majorité des exégètes, rejoignant une tradition qui remonte au moins à saint Bède le Vénérable (+ 636). Certes l’enfantement charnel du Messie fut sans douleur pour Marie, mais sa maternité spirituelle permanente s’accomplit dans la douleur.
Marie occupe une place éminente et unique dans l’histoire du salut qui fait d’elle le modèle de l’Église
Cette idée se trouvait déjà chez Rupert de Deutz pour qui, si la femme du chapitre 12 de l’Apocalypse se trouvant dans les douleurs de l’enfantement est d’abord l’Église, c’est aussi Marie, la portion la plus noble de l’Église ancienne, qui engendre par elle (cf. In Isaiam 2,31). Comme le pape émérite le souligne, « entre Marie et l’Église, il existe une conformité de nature » (Benoît XVI, Homélie au Consistoire, 25 mars 2006). Le concile Vatican II recentre la mariologie qui, jusque là, plaçait Marie dans un rang hiérarchique, entre le Christ et l’Église, en montrant que la médiation de Marie n’est pas extérieure à l’Église, mais intérieure. Autrement dit, la mariologie, c’est-à-dire la partie de la théologie qui étudie tout ce qui a trait à la Vierge Marie, ne s’attache pas tant aux privilèges de la Sainte Vierge qu'à sa place éminente dans l’histoire du salut, à « sa coopération absolument sans pareil » (Lumen gentium, n° 61). Jean-Paul II est revenu sur la question en disant que Marie récapitule en quelque sorte toute l’Église, car, dans l’Église, la foi ne peut être qu’une participation à la foi de Marie qui lui préexiste : « Cette foi héroïque précède le témoignage apostolique de l’Église et demeure au cœur de l’Église, cachée comme un héritage spécial de la révélation de Dieu » (encyclique Redemptoris Mater, n° 27).
Marie, Nouvelle Ève, qui porte en germe toute l’humanité, est aussi, comme l’Église, « la Mère des vivants » (cf. Genèse 3,20)
Comme le dira de manière si expressive saint Anselme (+ 1109) : « Dieu est le Père des choses crées ; Marie est la Mère des choses recrées… Dieu est le Père de la constitution de tout, Marie est la mère de la restitution de tout. Car Dieu a engendré celui par qui tout fut créé ; et Marie a enfanté celui par qui tout fut sauvé… Ô bienheureuse confiance ! Ô sûr refuge ! La Mère de Dieu est notre Mère » (Saint Anselme, Sermon 52).
L’identification de Marie et de l’Église s'explicite merveilleusement dans les deux épisodes de Cana et du Calvaire
Ce sont deux épisodes de Noces : le vin de Cana symbolisant le sang de l'Alliance versé sur la croix. Dans les deux cas, Marie semble perdre sa qualité de Mère pour prendre celle d’Épouse, comme cela est manifesté par l'appellation « Femme » que lui adresse Jésus (cf. Jean 2,4 et 19,26). Au pied de la croix, Jean reçoit la qualité de fils dont le Christ se dépouille pour prendre envers sa mère celle d’époux. Saint Ambroise voit dans Marie et Jean au pied de la croix les figures respectives de l'Église et du genre humain (Luc 7,5). C'est que Marie en ces instants personnifie l'Église, prémices de l'humanité régénérée. L’Église, nouvelle Ève, est déjà présente en Marie, pré-rachetée comme elle pour participer au sacrifice rédempteur.
« Au temps de la Passion, l'Église n'étant pas formée encore, le Fils de Dieu la reçoit pour épouse dans la personne de la Très Sainte Vierge » (Monsieur Olier)
« Dieu voulant réformer le monde et faire une génération nouvelle, avait donné au genre humain un nouvel Adam dans la personne de Jésus-Christ, et pour être époux, Notre Seigneur ne pouvait être seul, il fallait qu'il eût une compagne, une aide ; et comme Adam dans le paradis terrestre avait reçu Ève pour épouse, le Fils de Dieu devait recevoir sur le Calvaire l'Église pour la sienne. Toutefois, au temps de la passion du Sauveur l'Église n'était pas encore formée (car elle devait être d'abord la fille du Christ avant d'être son épouse, comme Ève fut la fille d'Adam avant d'être son épouse) [...] L'Église n'étant donc point formée encore, le Fils de Dieu la reçoit pour épouse dans la personne de la très sainte Vierge, qui est elle-même le membre le plus auguste de cette même Église dont elle renferme d'ailleurs en éminence toutes les grâces et toutes les perfections » (Monsieur Olier, Vie intérieure de la Sainte Vierge, Rome 1866, t.2 p.71).
Cette identification de Marie et de l'Église par le biais du thème de la Nouvelle Ève est une idée presque aussi ancienne que le christianisme
De même qu’Adam avait trouvé en la personne d’Ève une « aide semblable à lui » (cf. Genèse 2,18-20), de même le nouvel Adam trouve en Marie-Église une épouse généreusement associée à son œuvre rédemptrice. Marie anticipe en sa personne ce que l'Église réalisera collectivement par la suite.
Là où Marie se différencie du Christ c'est pour ressembler à l'Église : elle est féminine, rachetée, elle vit dans la foi, immortelle
En Marie l'Église commence d'être sainte,
immaculée, unie au Christ. Marie est l'âge d'or de l'Église. Mais en Marie, l'Église commence aussi à coopérer à la rédemption. En Marie elle dit « oui » à son rachat. De sorte que le
« Fiat » d'acceptation de la Vierge, prototype de l'Église, est une rédemption subjective pour elle-même mais objective pour tous les autres membres de l'Église.
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Le développement de cette analogie fondamentale entre Ève et Marie aura une grande influence : _ dans la réflexion théologique sur l’Immaculée Conception, car les textes bibliques affirment l'universalité du péché, mais le Christ nouvel Adam et la nouvelle Ève font exception à cette loi universelle du péché ; _ dans le dogme de l’Assomption, Marie rejoignant Jésus au paradis céleste et non plus terrestre d’Ève ; _ sur la question de la coopération de la Vierge Marie à la Rédemption, sa place unique étant mise en analogie avec le rôle d’Ève dans la chute. Marie a été « une aide » (Genèse 2, 18) pour Jésus.
1°/ Contre l’Immaculée conception, les textes bibliques affirmaient l'universalité du péché
L'Ancien Testament parle de la contamination par le péché qui frappe tout « homme né de la femme » (Psaumes 50,7 ; Job 14,2). Dans le Nouveau Testament, saint Paul déclare que, à la suite de la faute d'Adam, « tous ont péché » et que « la faute d'un seul a entraîné sur tous les hommes une condamnation » (Romains 5,12-18). Donc, comme le rappelle le Catéchisme de l'Église catholique, le péché originel « affecte la nature humaine », qui se trouve ainsi « dans un état déchu ». Le péché est donc transmis « par propagation à toute l'humanité, c'est-à-dire par la transmission d'une nature humaine privée de la sainteté et de la justice originelles » (n° 404). Même si les textes bibliques affirment globalement l'universalité du péché, néanmoins la Tradition et la Magistère fondent la doctrine de l’Immaculée Conception sur le lien qui unit Marie à son Fils, seul homme exempt du péché originel. Saint Paul admet cependant une exception à cette loi universelle : le Christ, celui « qui n'avait pas connu le péché » (2 Corinthiens 5,21), qui a ainsi pu faire surabonder la grâce là « où le péché s'est multiplié » (Romains 5, 20). Ainsi donc le Christ nouvel Adam (Romains 5,20) et la nouvelle Ève font exception à la loi universelle du péché
Le rôle de la femme, important dans le drame du péché, l'est aussi dans la rédemption de l'humanité
Saint Irénée présente Marie comme la nouvelle Ève qui, par sa foi et son obéissance, a rééquilibré l'incrédulité et la désobéissance d'Ève. Un tel rôle dans l'économie du salut exige l'absence de péché. Il fallait que comme le Christ, le nouvel Adam, Marie elle aussi, la nouvelle Ève, ne connaisse pas le péché et soit ainsi plus apte à collaborer à la rédemption. Le péché, qui emporte l'humanité comme un torrent, s'arrête devant le Rédempteur et sa fidèle collaboratrice. Avec une différence substantielle : - le Christ est totalement saint en vertu de la grâce qui, dans son humanité, dérive de la personne divine ; - Marie est toute sainte en vertu de la grâce reçue par les mérites du sauveur.
Dans la réflexion théologique sur l’Immaculée Conception, le parallèle Ève-Marie devait jouer un grand rôle
Depuis le IIe siècle, Marie avait été désignée comme la Nouvelle Ève. Or Ève avait été créée sans péché. Ne devait-on pas en dire autant - au moins autant ! - de la Vierge Marie et conclure qu’elle a été conçue sans péché ? Le cardinal Newman pressait son ami anglican Pusey à formuler cette conclusion : « Je vous le demande, lui écrivait-il, avez-vous l’intention de nier que Marie ait reçu autant que Ève ? Est-ce trop inférer que Marie devant coopérer à la Rédemption du monde avait reçu au moins autant de grâce que la première femme qui fut, il est vrai, donnée comme aide à son époux mais coopéra seulement à sa ruine ? » (Du culte de la sainte Vierge dans l’Église catholique).
Le dogme de l’Immaculée Conception vient renouveler le parallélisme antithétique de la première Ève et de Marie
L’une et l’autre sont initialement sans péché et pourtant l’une cède à la tentation de Satan et conçoit le fruit amer du péché, l’autre répond à la sollicitation de l’ange et conçoit le fruit béni de notre salut. L’une pèche, l’autre pas, quoique toutes deux soient créées sans péché. C’est le mystère de la liberté humaine qui est ainsi figuré dans le parallélisme des deux Ève. L’usage de son libre-arbitre conduit la première Ève à l’esclavage du péché et la Nouvelle Ève à la vraie liberté des enfants de Dieu. Les deux femmes ont un libre-arbitre, c’est-à-dire une capacité de choisir. Ève choisit de suivre le diable, « Père du mensonge » (Jean 8,44). Marie choisit de mettre sa foi en Dieu. Elle accède ainsi à la pleine liberté selon la parole du Christ : « La vérité vous rendra libres » (Jean 8,32). La liberté est une grâce, un don de Dieu, que notre libre-arbitre nous permet d’accueillir ou de rejeter. Quiconque pèche demeure esclave du péché. « C’est pour que nous soyons vraiment libres que le Christ nous a libérés » écrit saint Paul (Galates 5,1).
2°/ Dans le parallèle des deux Ève se trouvent aussi des arguments en faveur de l’Assomption de la Vierge
En effet la protologie (doctrine qui traite des origines de l'humanité) est la figure de l’eschatologie (ce qui concerne les temps derniers où nous sommes depuis l’Incarnation rédemptrice : cf. Hébreux 1,1).
De même qu’au paradis terrestre Adam et Ève se promenaient dans le Jardin d’Éden, de même actuellement sont établis corporellement dans le paradis Jésus et Marie, le Nouvel Adam et la Nouvelle Ève. Ainsi l’eschatologie éclaire la protologie. Les événements du début de l’humanité apparaissent comme une figure de ces temps que nous vivons et qui sont les derniers. Déjà Milon de Saint-Amand (+ 871) avait affirmé de manière singulière : « Ô Vierge, Tu ouvres les portes du paradis. Ève les avait fermées en cueillant à l'arbre interdit le mal mortel. Mais toi, tandis qu'aux rameaux de la croix pendait, fruit du salut, l'enfant de ta chair, l'assistant de tes pleurs par lesquels la joie vient au monde, tu conduis les enfants adoptifs au plus haut du ciel dont tu as retrouvé la clef » (De sobrietate II, 12-18, traduction de René Laurentin dans Court traité de théologie mariale, p. 58 note 85). Pie XII en proclamant le dogme de l’Assomption le 1er novembre 1950 rappellera cette constance des Pères à voir en Marie la Nouvelle Ève (Bulle Munificentissimus Deus).
3°/ Pour la rédemption, c’est en Marie que l’Alliance nouvelle et définitive a son commencement
« Il est difficile de comprendre pourquoi les paroles du protévangile mettent aussi fortement en relief la femme si l’on n’admet pas qu’en elle l’Alliance nouvelle et définitive de Dieu avec l’humanité, l’Alliance dans le sang rédempteur du Christ, a son commencement. Elle commence avec une femme, avec la « femme », à l’Annonciation de Nazareth. C'est la nouveauté absolue de l’Évangile » (Jean-Paul II, lettre apostolique Mulieris dignitatem, n° 11).
Ève était pour Adam « une aide semblable à lui », l’expression revient avec insistance dans la Genèse
N’est-il pas dès lors patent que Marie est selon l’expression du Concile la digne associée du rédempteur ? Elle coopère, à son niveau subordonné de créature, à l’œuvre du salut. C’est pourquoi on a pu l’appeler co-rédemptrice ou même « rédemptrice des larmes d’Ève ». C’est dans cette ligne sotériologique que Vatican II nous invite d’ailleurs à méditer le parallèle des deux Ève : « C'est donc à juste titre, lisons-nous dans Lumen Gentium (n° 56), que les saints Pères considèrent Marie comme apportant au salut des hommes non pas simplement la coopération d'un instrument passif aux mains de Dieu, mais la liberté de sa foi et de son obéissance. En effet, comme dit saint Irénée, « par son obéissance elle est devenue, pour elle-même et pour tout le genre humain, cause de salut ». Aussi avec lui, bon nombre d'anciens Pères disent volontiers dans leurs prédications : « Le nœud dû à la désobéissance d'Ève, s'est dénoué par l'obéissance de Marie ; ce que la vierge Ève avait noué par son incrédulité, la Vierge Marie l'a dénoué par sa foi » ; comparant Marie avec Ève, ils appellent Marie « la Mère des vivants » et déclarent souvent : « par Ève la mort, par Marie la vie ».»
Marie « aide » le Christ dans la rédemption par une coopération unique et privilégiée
Pour saint Bonaventure (1221-1274), Marie a été destinée de toute éternité à être l’aide de Jésus, nouvelle Ève auprès du nouvel Adam, coopérant à son œuvre par sa coopération maternelle. Chez saint Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716), Marie apparaît comme « le vrai paradis terrestre du nouvel Adam », la « terre vierge et immaculée » dont il a été façonné (Traité de la vraie dévotion, n° 261). Elle est aussi la nouvelle Ève, associée au nouvel Adam dans l’obéissance qui répare la désobéissance originelle de l’homme et de la femme (cf. ibid, n° 53). Le pape Jean-Paul II a, en septembre 1997, donné au cours de ses audiences générales, un enseignement de mariologie où il souligne avec force, à la suite du Concile Vatican II, le titre absolument unique auquel la Vierge Marie a été « généreusement associée à l'œuvre du Rédempteur » (cf. Concile Vatican II, constitution dogmatique Lumen Gentium, n° 61).
On perçoit dans l'antithèse Ève-Marie l'unité du plan salvifique de Dieu
Le plan divin de salut ne consiste pas à raccommoder sommairement l’œuvre première corrompue, mais véritablement à la reprendre par le principe. Le projet ébauché et avorté en Ève, Dieu l'a repris et restauré en Marie. La théologie de la récapitulation et de la « recirculation » de saint Irénée confère à Marie, reprise d'Ève, un rôle quasi nécessaire à la logique du plan divin. La récapitulation dans le Christ, Adam final, exigeait qu'Ève fût restaurée en Marie. Seule une telle hauteur de vue percevant à sa juste mesure l'amplitude de l'économie rédemptrice permet de dégager la signification exacte de la Vierge dans le plan du salut. Elle contribue également à relativiser le parallélisme antithétique des deux Ève. L'apport de Marie au relèvement objectif de l'humanité surclasse celui de la première Ève à sa ruine. Toute la théologie paulinienne est dominée par ce « combien plus », cette disproportion entre l'événement de la chute et l'événement de la grâce, entre l'injustice du premier père dont Ève fut « l'associée » (Genèse 2,21) et la surabondante justice du Christ dont Marie est la mère.
Ainsi se trouve convenablement formulé le parallélisme entre Ève et Marie. C'est un parallélisme antithétique qui doit suggérer une réelle disproportion entre les deux Ève
Car Marie n'est pas simplement une anti-Ève ou une Ève améliorée, elle est une Nouvelle Ève, une créature nouvelle, une femme bénie entre toutes les femmes parce que « le fruit de son sein l'a été bien davantage ».
d'après Monseigneur Dominique Le Tourneau - aleteia.org
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