1.
La mise en cause médiatisée de Pie XII pour
ses « silences » au sujet de l’extermination des Juifs remonte à la sortie de la pièce de théâtre de Rolf Hocchuth Die Stellvertreter (Le Vicaire ) à
Berlin-Ouest en 1963 qui dénonçait la complicité passive de la société civile et des autorités religieuses face à l’extermination des Juifs et particulièrement du Pape qui se serait tu par
anticommunisme ou par antisémitisme. Ce procès d’intention a suscité la protestation de nombreuses personnalités et Paul VI prit la décision de publier
les Actes et
Documents du Saint Siège pendant la seconde guerre mondiale dont la parution s’échelonna de 1965 à 1981. L’ouverture de ces archives puis celle de Pie XI sous Jean-Paul II (2003) relatives à la période de la nonciature de
Pacelli à Munich (1917-1925) puis à Berlin (1925-1929) ont permis de mieux comprendre l’action du Saint-Siège en faveur des Juifs.
L’histoire d’un retournement
d’opinion sans précédent par rapport aux témoignages reconnaissants des représentants du judaïsme après la
mort de Pie XII en 1958
La pièce parut en février 1963 à Berlin-Ouest
dans un contexte générationnel marqué par la contestation des institutions établies et en plein concile Vatican II (1962-1965). Le message implicite était clair : De quel droit l’Église
pouvait-elle encore exercer un magistère moral aujourd’hui puisqu’elle s’était tue hier face aux crimes nazis ? L’idée fausse d’un pape attaché aux traditions et par ailleurs présumé
philofasciste, anticommuniste et antisémite avait pour but de cautionner le courant idéologique libertaire qui allait culminer en 1968. La médiatisation de ce qui est devenu
l’ « Affaire Pie XII » est l’illustration singulière d’un retournement d’opinion sans précédent par rapport aux témoignages de reconnaissance que les représentants du judaïsme
avaient exprimé à sa mort en octobre 1958 pour les aides multiples qu’il avait apportées aux Juifs. Il est vrai que le Grand rabbin Zolli de Trieste puis de Rome qui se convertit au catholicisme
après la guerre et prit comme prénom de baptême « Eugenio », en hommage à Pie XII (Eugenio Pacelli) avait déclaré après la guerre à sa fille : « Tu verras, on fera de Pie
XII le bouc émissaire pour le silence du monde entier pour les crimes nazis. » La polémique a été maintes fois relancée depuis, notamment à l’occasion du procès en béatification dont le père
Peter Gumpel est le postulateur et de l’adaptation de la pièce au cinéma (film Amen du cinéaste franco-grec Costa Gavras sorti en 2002).
Probablement une opération organisée et financée par le KGB
Mais l’histoire de « l'Affaire Pie XII » se distinguant de plus en plus de l’histoire du pontificat de Pie XII a permis aussi de mieux saisir les différences contextuelles. En effet, un haut responsable roumain Mihaï Pacepa a révélé en 2007 qu’une opération « Seat Twelve » financée par le KGB aurait supervisé le financement, la rédaction, la production de cette pièce. Le producteur du Vicaire, Erwin Piscator, disciple de Berthold Brecht, concepteur du théâtre d’agitation politique était un communiste dévoué, en relation avec Moscou. Cette révélation de Pacepa n’a certes pas été confirmée par la publication officielle d’archives soviétiques. Mais elle est plausible d’autant que les attaques de Radio-Moscou contre le Saint-Siège dénonçant son prétendu silence face aux atrocités nazies ont commencé dès juin 1945. Pie XII pouvait rappeler en 1946 qu’il n’avait jamais souscrit à la pseudo-croisade antibolchévique de la propagande nazie. Le premier secrétaire du PCUS Iouri Andropov devait reconnaître que « si nous avions su ce que nous connaissons aujourd’hui, nous n’aurions jamais tenté ce que nous avons fait contre Pie XII. » L’opération « Seat Twelve » n’a donc fait qu’exploiter un contexte favorable. Elle n’explique pas tout.
La production de la pièce devait susciter de
nombreuses réactions de protestation notamment de l’ambassadeur britannique Sir d’Arcy Osborne qui avait bien connu Pie XII
Le cardinal Montini, ancien substitut à la
secrétairerie d’Etat sous Pie XII, protesta dans une interview accordée à The Tablet et une fois élu pape, prit la décision dès son élection de publier les Actes et Documents du Saint-Siège durant la seconde guerre mondiale dont l’entreprise fut confiée
aux jésuites (l’Américain Robert A. Graham, l’Italien Angelo Martini, l’Allemand Burkhart Schneider et le Français Pierre Blet). Pour la première fois, un État publiait ses archives de la période
de la guerre vingt ans seulement après les événements alors que les délais de prescription sont en général de soixante ans. La publication des douze volumes s’échelonne de 1965 à 1981. Au terme
du concile, face aux réclamations d’une béatification de Jean XXIII par la vox populi, Paul VI décida d’engager conjointement le procès de béatification de Pie XII et de Jean XXIII afin de signifier la continuité du Siège apostolique. Depuis cette décision,
Jean-Paul II ouvrit en 2003 les archives secrètes vaticanes de la Secrétairerie d’État de la période 1922-39 donc sous le pontificat de Pie XI quand Pacelli étant nonce à Munich jusqu’en 1925
puis à Berlin jusqu’en 1929. L’exploitation des archives a conduit à d’importants travaux qui éclairent le pontificat du pape marqué par l’expérience de l’Europe occupée par l’Allemagne nazie et
par les débuts de la Guerre froide.
2.
Mais « l’affaire Pie XII » ne
s’explique pas seulement par le contexte de la guerre froide et de la génération d’après-guerre. Elle s’explique aussi par le lourd contentieux de l’antijudaïsme chrétienqui est censé avoir fait le lit du nazisme et de la Shoah et par l’interrogation des survivants dont les parents sont morts à Auschwitz. Et c’est la mémoire de Pie XII, dont
le pontificat est contemporain de la Shoah qui fut donc la cible symbolique de ces attaques. Les soixante dernières années ont été marquées par la remise en cause de l’antijudaïsme
religieux : Déclaration de Seelisberg (1947), Déclaration Nostra Aetate sur les religions non chrétiennes du concile Vatican II (1965) et par la reconnaissance des torts envers le judaïsme, (repentance de l’Église de France en 1997 puis de
l’Église universelle lors du Jubilé de l’an 2000).
Il n’apparaît cependant pas que Pie XII ait
été spécialement complice de cet antijudaïsme, encore moins que celui-ci soit décisif pour comprendre sa ligne de conduite
La connaissance de sa jeunesse et de sa carrière ecclésiastique révèle plutôt le contraire. Eugenio Pacelli s’était lié d’amitié avec un Juif romain Guido
Mendes qui lui fit partager le repas de shabbat dans une famille juive. Il est vrai que des relations cordiales existaient de longue date entre le Saint-Siège et la communauté juive romaine.
Nonce en Bavière, Pacelli eut d’excellents rapports avec des personnalités juives allemandes telles que le chef d’orchestre Bruno Walter, il engagea des démarches pour convaincre le chancelier
Ebert de protéger la vie de son ministre Walter Rathenau (assassiné en 1922) en lui imposant des gardes du corps contre les menaces d’attentat à caractère nationaliste et antisémite qui le
visaient. Premier futur pape à s’être rendu aux États-Unis (en 1936), Pacelli rencontra le président Roosevelt et accepta à sa demande de faire taire son adversaire l’Abbé Coughlin, dont les
émissions radiophoniques à caractère antisémite l’indisposaient.
3.
Un certain courant historiographique a eu
tendance à opposer un Pape Pie XI jugé plus audacieux dans ses prises de position contre le fascisme, le nazisme et l’antisémitisme à son successeur plus timoré. Cette vision manichéenne ne
résiste pas à l’analyse et ne tient compte ni du rôle du secrétaire d’État Pacelli (futur Pie XII) sous Pie XI, ni du nouveau contexte de la guerre qui nécessitait une plus grande prudence dans
les déclarations officielles. Pacelli a joué un rôle
décisif que Pie XI a reconnu notamment dans la rédaction
de l’encyclique Mit
Brennender Sorge sur le nazisme (14 mars 1937)
sans parler d’une quarantaine d’autres discours dans lesquels il a dénoncé l’idéologie de la race et de la classe. Son élection sur le siège de Pierre en mars 39 a été très mal accueillie à
Berlin. Mais l’affaire de « l’encyclique cachée » a contribué à répandre cette légende des deux lignes pontificales
L’encyclique inachevée de 1938 sur le racisme
et l’antisémitisme par volonté de sauver la paix
En 1938, Pie XI avait pris la décision d’un
nouveau chantier d’encyclique sur le racisme et l’antisémitisme après lecture du livre Interracial justice (1937) sur la condition des noirs aux États-Unis du jésuite américain John La Farge qu’il convoqua à l’occasion de son
passage à Rome. Le projet avait été confié au général des jésuites le Père Ledochowski. Au Père La Farge furent associés l’Allemand Gustav Gundlach et le Français Gustave Desbuquois. Le travail
achevé en septembre 38 ne devait finalement pas déboucher sur une encyclique. Les raisons avancées de cette entreprise inaboutie ont mis en cause le Père Ledochowski, Polonais connu pour ses
opinions anticommunistes et antisémites et qui aurait retenu quatre mois durant le manuscrit et le secrétaire d’État qui, devenu Pie XII le 2 mars 1939, quinze jours avant l’annexion de la
Bohême-Moravie par Hitler, renonça à publier l’encyclique à laquelle il n’était nullement lié. Les raisons sont assez claires. La principale est motivée par la volonté du pape de sauver la paix à
tout prix. On sait qu’il prit le risque sans précédent dans les annales diplomatiques de mettre en contact un représentant de la résistance allemande avec les alliés dans l’espoir d’une ultime
tentative pour renverser Hitler. Ayant appris la date de l’invasion à l’ouest par la résistance allemande, Pie XII transmit aussi l’information aux
alliés.
Le Saint Siège a condamné de manière multiple
et variée les idéologies racistes comme l’attestent l’encyclique Mit Brennender Sorge de 1937 et le syllabus de 1938
L’état du texte de 1938 tel qu’il nous est
parvenu ne permet pas de repérer une évolution significative du Magistère par rapport à l’antijudaïsme ni par rapport à la question politique des législations antisémites. La première encyclique
du pontificat de Pie XII Summi pontificatus en se
plaçant sur le terrain des droits de la personne humaine se montrait plus audacieuse que le contenu préparatoire de l’encyclique. Enfin, comme le rappelle le Père Blet, la tentative d’une
encyclique globale sur racisme et antisémitisme n’a nullement été cachée par le Saint-Siège ou par le futur Pape Pie XII. Le deuxième volume des Actes et Documents du Saint
Siège (p.407), contient le procès-verbal d’une
réunion de Pacelli avec les évêques allemands en visite à Rome en mars 1939 où le projet d’encyclique est clairement mentionné. Le Saint-Siège a condamné de manière multiple et variée les
idéologies racistes postulant une inégalité essentielle des races comme l’attestent l’encyclique Mit Brennender Sorge de 1937 et le syllabus de 1938 adressé aux établissements catholiques du monde
entier.
Le Saint Siège a aussi logiquement condamné
l’antisémitisme dans ses présupposés racistes et cette ligne lui a valu les soutiens et la reconnaissance de nombreuses personnalités juives de l’époque
Cette position n’impliquait cependant
pas a
priori une condamnation officielle de certains
préjugés de l’antijudaïsme chrétien. Il existait hélas aussi en Europe un antisémitisme qui ne reposait pas sur les présupposés raciologiques du nazisme mais qui allait indirectement servir à ses
fins. On sait du reste que la législation de Nuremberg de 1935 incapable, et pour cause, de définir un juif sur le plan racial, s’appuyait sur l’observance religieuse. Néanmoins, le Saint-Siège
averti de la nocivité intrinsèque du nazisme a réagi en faveur des Juifs par divers moyens diplomatiques et autres dans les différents pays de l’Europe occupée. Il a aussi réprouvé indirectement
les législations qui s’alignaient sur l’Allemagne nazie comme en Italie en 1938 ou dans la France de Vichy en 1941 (par l’intermédiaire du nonce Valerio Valeri). D’autre part la question
théologique du mystère d’Israël que certains intellectuels catholiques ont approfondie dans l’Entre-Deux-guerres (Jacques Maritain, Erik Peterson, Joseph Bonsirven) devait conduire vingt ans plus
tard à une révision de l’antijudaïsme chrétien traditionnel notamment dans la réforme liturgique, même si une encyclique à caractère doctrinal sur Israël et l’Église n’a toujours pas vu le
jour.
4.
Il faut indiquer que la question des silences pontificaux qui se posa dès 1939 ne porta pas d’abord ni seulement sur la persécution des Juifs mais sur les premiers événements du conflit, à commencer par l’invasion de la Pologne (septembre 1939). La première encyclique Summi pontificatus dont la conclusion se terminait par un hommage à la Pologne martyre ne fut publiée que le 20 octobre, un mois après la chute de Varsovie. Des prêtres aumôniers ont déjà expliqué à la BBC les silences du Saint-Siège ne voulant pas prendre parti dans le conflit. Quant à ce que l’on appelle aujourd’hui la « Shoah », il faut rappeler que l’expression est tardive et que la découverte du dessein secret d’extermination des Juifs s’est faite progressivement et partiellement durant le déroulement du conflit.
Les historiens ont montré l’impact contre-productif des protestations publiques par rapport aux déportations des Juifs
Celles-ci n’ont eu d’efficacité que lorsque les pouvoirs publics avaient une marge de manœuvre et pouvaient répondre aux réactions communes des autorités religieuses et de la société civile face à la pression du Reich. C’est ce qui explique pourquoi l’effet des protestations de la hiérarchie aboutit à des résultats si opposés dans les cas de la France, du protectorat de Bohême Moravie et de la Hollande pour ne citer que ces exemples. Pie XII a donc estimé qu’il appartenait aux évêques de chaque pays de juger de l’opportunité d’une déclaration publique.
« La seule chose qui nous retient est le fait que, si nous parlions, nous rendrions encore plus dure la condition de ces malheureux. »
Le Saint-Siège a pris en compte les avis des intéressés par l’intermédiaire de la hiérarchie. Déjà en mai 1940, Pie XII déclarait à l’ambassadeur Dino Alfieri : « Les Italiens savent les choses horribles qui se passent en Pologne. Nous devrions dire des paroles de feu contre de pareilles choses. La seule chose qui nous retient est le fait que, si nous parlions, nous rendrions encore plus dure la condition de ces malheureux. » Cette déclaration était fondée sur les avertissements de la hiérarchie polonaise, de l’archevêque Sapieha de Cracovie déclarant à Ledochowski que chacune des émissions de Radio-Vatican révélant les crimes nazis était suivie de représailles sur les populations. Ces propos pourraient être rapprochés de ceux de Mgr von Galen évêque de Munster (béatifié sous Jean-Paul II) qui protesta en chaire contre l’élimination par le régime nazi des handicapés et qui fut élevé à la charge de cardinal après la guerre par Pie XII. Ce dernier le félicitant reçut comme réponse : « Oui, Saint Père (…) mais combien de mes meilleurs prêtres n’ai-je pas envoyé en camp de concentration, et même à la mort pour avoir répandu mes sermons ! »
Le Pape avait en tête le terrible exemple de la protestation en Hollande et de la répression sanglante qui suivit
On sait les conséquences tragiques des protestations publiques de Mgr de Jong, archevêque d’Utrecht et primat de l’Église hollandaise, aux premières déportations des Juifs en Hollande et la riposte du gauleiter Seyss-Inquart déportant les Juifs baptisés des Pays Bas (parmi lesquels les sœurs Édith et Rosa Stein en juillet 1942). Horrifié par l’événement, Pie XII déclara à Sœur Pascalina Lehnert : « Il vaut mieux se taire en public et faire en silence comme auparavant tout ce qu’il est possible de faire pour ces pauvres gens ».
Le radio-message de Noël 42 qui faisait suite à la déclaration alliée du 17 décembre 42 sur la persécution des Juifs ne dérogeait pas complètement à cette ligne
Pie XII ne mentionnait les Juifs que de manière implicite en évoquant le sort des « centaines de milliers de personnes qui, sans aucune faute de leur part, par le seul fait de leur nationalité et de leur origine ethnique ont été voués à la mort ou à la disparition progressive. » Dans son discours au Sacré-Collège du 2 juin 1943 un mois après la rédaction du mémorandum sur la situation faite aux Juifs en Europe, le pape déclarait encore que « toute parole de Notre part, adressée à ce propos aux autorité compétentes, toute allusion publique doivent être considérées et pesées avec un sérieux profond, dans l’intérêt même de ceux qui souffrent, de façon à ne rendre leur position encore plus difficile et plus intolérable qu’auparavant, même par inadvertance et sans le vouloir.»
C’est donc l’action discrète, multiple, directement diplomatique ou indirectement par le réseau des établissements religieux qui constitue la réponse du Saint-Siège à l’entreprise nazie d’extermination
Pie XII a agi en faveur des Juifs par les nonciatures maintenues en Roumanie, Slovaquie, Hongrie, pour les sauver des déportations tant que n’était pas complète l’emprise croissante du nazisme sur ces pays. Ces démarches ont permis de sauver des dizaines de milliers de Juifs slovaques ou hongrois. À l’heure de l’occupation allemande de la ville éternelle (septembre 43) il a donné les consignes pour ouvrir aux Juifs tous les monastères romains, le Vatican et Castel Gandolfo.
« Ne rien faire et ne pas protester est inadmissible. Si vous ne protestez pas, vous devez agir. Si vous ne pouvez agir, vous devez protester. »
Gerhart Riegner, représentant du Congrès juif mondial à Genève et auteur du fameux rapport sur l’extermination des Juifs qui porte son nom (août 1942) fixait à Carl Burkhardt, vice-président du Comité international de la Croix Rouge la règle à suivre : « Je vous le dis, ne rien faire et ne pas protester est inadmissible. Si vous ne protestez pas, vous devez agir. Si vous ne pouvez agir, vous devez protester. » En définitive, ce fut aussi la ligne suivie par Pie XII. L’attitude de Pie XII au moment de l’occupation allemande de Rome révèle ce rapport entre l’action et l’ultima ratio de la protestation. La démarche auprès de l’ambassadeur du Reich Weiszäcker puis auprès du général (catholique, autrichien) Stahel ont permis d’interrompre les déportations des Juifs de Rome ordonnées par Himmler et mises en œuvre par le SS Kappeler. Le rabbin Zolli avait bien compris que si Pie XII avait été contraint à une protestation publique, la ville de Rome se serait peut-être soulevée derrière le Defensor Civitatis mais un bain de sang aurait pu aboutir à la déportation de la totalité des Juifs romains.
L’action du pape en faveur des Juifs a donc été réelle et incontestable, il n’est plus possible d’en douter
Benoît XVI qui signa le décret reconnaissant les vertus héroïques de Pie XII et de Jean-Paul II le 19 décembre 2009 avait prononcé un discours le 18 septembre 2008 devant la fondation Pave the Way dans lequel il revenait sur les travaux des historiens en rappelant à propos des Juifs que Pie XII « ne s’épargna aucun effort pour intervenir en leur faveur soit directement soit au travers d’instructions données à des institutions de l’Église catholique ». Une déclaration urbi et orbi dénonçant l’entreprise d’extermination des Juifs aurait-elle été possible et souhaitable ? Rien n’est moins sûr dans la perspective qui était celle du Pape : sauver le plus possible de vies humaines. Une dénonciation explicite aurait alimenté l’idéologie hitlérienne prétendant faire la guerre à la « juiverie internationale » évoquée à plusieurs reprises dans les discours du Führer à des moments charnières du conflit.
Le Saint-Siège n'a pas favorisé la fuite de criminels nazis vers l’Amérique latine
Cette rumeur a été popularisée par un
journaliste hongrois, Ladislas Farago dans son livreLe IVè Reich (1975) et encore plus récemment par le film Amen de Costa Gavras (2002), dans le but de soutenir la thèse d’un Vatican clérico-fasciste agissant pour restaurer une Allemagne forte en Europe par peur du
communisme. Cette interprétation largement révisée par les travaux du jésuite américain Robert Graham (1999) et par ceux de l’historien italien Matteo Sanfilippo (1999) s’appuie néanmoins
sur quelques faits avérés localement : l’action de quelques ecclésiastiques hongrois, croates (en faveur de l’exfiltration de leurs compatriotes souvent compromis avec les régimes fascistes) ou
de l’évêque autrichien Mgr Aloïs Hudal, ancien recteur de Santa Maria dell’ Anima, l’église de la communauté allemande de Rome.
Dans le contexte de la débâcle générale de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste, bourreaux et victimes ont souvent été confondus. La Croix-Rouge a notamment délivré par erreur des passeports
à des criminels nazis tels que Eichmann, Barbie, Mengele ou Priebke. Une commission pontificale sous la responsabilité de Mgr Montini (futur Paul VI) fut organisée pour venir en aide aux
personnes déplacées. Mgr Hudal prit en charge un comité autrichien de Rome et vint en aide à des ressortissants autrichiens ou allemands parmi lesquels se cachèrent d’anciens nazis. Avant
la guerre, ce prélat auteur d’un livre intitulé Les fondements du national-socialisme (1936) rêvait d’une possible conciliation entre nazisme et catholicisme. Fortement critiqué par Pie XI, trop compromis pour
ses sympathies philonazies et marginalisé au Vatican, il agissait le plus souvent en abusant de ses titres et fonctions. La plupart des historiens estiment cependant que ni Pie XII (qui
considérait que les crimes de guerre devaient être punis), ni Mgr Montini n’ont sciemment couvert l’exfiltration de criminels nazis ou fascistes.
Aucun moyen diplomatique ne pouvait être efficace contre les barbaries du XXème siècle
L’historien ne peut que constater, en regardant la face obscure du XXème siècle qu’aucun moyen diplomatique ou autre ne s’est avéré efficace pour empêcher ou enrayer des entreprises génocidaires, qu’il s’agisse de l’extermination des Arméniens et des Assyro-Chaldéens par le régime turc en 1915 durant la première guerre mondiale, de la famine planifiée par Staline en Ukraine en 1932-33, de l’extermination des Tutsis par les Hutus au Rwanda en 1994. Dans chacun des cas, des informations ont été rapportées mais la volonté politique ou la possibilité d’intervenir n’ont pas abouti. Ces exemples doivent nous inciter à l’humilité et à la prudence au regard de l’attitude de Pie XII qui était très conscient de ses devoirs et des faibles moyens dont il disposait.
d'après Jean Chaunu - aleteia.org
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