1.
C’est lorsque
cette charge m’a été confiée au niveau national par la Conférence des évêques de France que je me suis
intéressé sérieusement aux relations avec les autres religions. Il est à noter que cette mission ne concernait pas les rapports avec le judaïsme, en raison des racines qu’y garde le
christianisme.
Une mission au sein de l’épiscopat
français
Je suis évêque de Créteil dans le Val de Marne depuis novembre 2007. Je venais de la Vendée, où j’ai été
évêque de Luçon de 2001 à 2007. À ma grande surprise, la Conférence des évêques de France m’a élu président du Conseil pour les relations interreligieuses et aussi, dans le même chapitre, avec
les nouvelles croyances et les nouveaux courants religieux.
Les relations interreligieuses ne concernent pas le judaïsme, qui n’est pas « autre » de la même manière que les autres
religions
Les relations avec les autres religions ne comprennent pas les relations avec les juifs. Celles-ci ne
sont pas mises sur le même plan que les relations avec par exemple les musulmans. Avec la communauté juive, nous avons une Révélation commune, qui est tout l’Ancien Testament : nous croyons
que Dieu a vraiment parlé au peuple juif. Nous réinterprétons l’Ancien Testament à la lumière de la Résurrection du Christ, mais nous avons en commun une partie de la Révélation. Les relations
avec le judaïsme sont donc prises en charge à Rome par le Conseil pontifical pour l’Unité des Chrétiens et, localement dans chaque pays, par un comité ou un secrétariat
spécial.
2.
Les rencontres interreligieuses au niveau international permettent de mieux percevoir les enjeux et les besoins. Elles ont aussi aidé à développer des rapprochements en France.
Sant’Egidio et les rencontres d’Assise
Depuis plusieurs années, je participe à la
rencontre de prière pour la paix organisée par la Communauté Sant’Egidio fondée par Andrea Riccardi.
Cette communauté allie la prière et le souci des plus pauvres. Cela demande à visiter et prendre en charge des personnes démunies, handicapées, âgées, seules, malades, etc.
Au fur et à mesure, les membres de la communauté se sont ouverts et ont travaillé pour la paix. Cette paix était menacée par la Guerre froide.
Tous les représentants des différentes religions ont invités pour la première fois en 1986 par le pape Jean-Paul II à Assise afin de prier pour la paix. Depuis, chaque année a lieu une rencontre
pour la paix avec des forums, des rencontres, des prières œcuménique, etc.
Barcelone
J’ai été aussi à Barcelone pour une rencontre interreligieuse, où j’ai trouvé un secrétaire du grand rabbinat. Je lui ai dit : « On se rencontre ici à Barcelone ; mais ailleurs, c’est difficile ». Suite à notre échange, il a facilité mes relations ici en France.
Terre Sainte
En 2009, nous avons eu le pèlerinage des
étudiants en Terre sainte. (Il devait être réitéré en 2014, mais à cause des événements, ce nouveau pèlerinage a dû être annulé).
En 2009, dans notre délégation d’étudiants de Créteil, nous avions un jeune permanent du Secours catholique qui était musulman. Au cours du voyage, il nous a conduits dans des camps
palestiniens.
3.
Dans le diocèse de Créteil, il y a une réalité interreligieuse qui donne lieu à des échanges et créent des liens personnels.
Un diocèse religieusement très divers
La réalité a complètement changé pour moi
quand je suis arrivé dans le Val de Marne, et surtout à Créteil où la population juive constitue un tiers de la population. Par ailleurs, tous les vendredis, la mosquée est pleine.
Les religions sont nombreuses avec des lieux de culte variés. Indépendamment des musulmans et des juifs, rien que pour ce qui est chrétiens, il y a trois dénominations, en plus des
catholiques : une communauté protestante, une autre réformée, l’Église protestante unie, des Églises pentecôtistes très vivantes. Il y a encore une communauté bouddhiste, sans compter une
partie de la population qui ne se rattache à aucune religion.
C’est une situation complètement inédite, mais il y a une longue tradition de bonnes relations entre les différentes communautés qui vivent là. Depuis que je suis évêque de Créteil, je m’efforce
d’entretenir ces relations avec les principales communautés.
L’évêque, le rabbin et l’imam ensemble
Le jeune musulman permanent du Secours
catholique à Créteil nous a fait connaître et rencontrer Windows for Peace (Fenêtres pour la paix) : un mouvement de jeunes citoyens de nationalités et religions différentes. Il les avait rencontrés sur place lors du pèlerinage de 2009 et
les a invités à venir à Créteil.
Le grand rabbin, l’imam et moi, l’évêque, avons été invités. Une jeune fille a beaucoup questionné le grand rabbin qui a dit : « Les jeunes nous obligent à répondre à des
questions ».
Ce soir-là, on m’a interrogé et j’ai raconté un événement de 2008 : l’inauguration de la mosquée. Comme il y avait beaucoup de discours de politiques, pendant ce temps-là l’imam m’a fait
visiter et son épouse m’avait offert un bouquet de fleur. Son geste m’avait touché et marqué. Quand j’ai raconté cet événement, cette femme était là alors que je ne le savais pas, et elle a
témoigné de combien elle avait été elle aussi touchée de cette rencontre.
Des rencontres régulières
L’imam, le curé, le rabbin et moi, nous avons
des rencontres régulières, au cours desquelles nous mettons l’accent sur le service du frère.
Plusieurs années, le repas de rupture de jeûne a eu lieu en novembre pendant la Conférence des évêques de France et le curé de la cathédrale (?) m’y a
remplacé.
4.
Les liens sont devenus plus forts à l’occasion de manifestations concrètes de solidarité, conformes à la vocation de l’Église et à l’ouverture de Vatican II.
Un regard d’estime
Dans la déclaration Nostra aetate de Vatican II, il n’y pas qu’une reconnaissance du judaïsme. Les chrétiens sont aussi invités à porter un regard d’estime sur les musulmans parce qu’ils sont des croyants » et sur les autres religions. C’est important parce que l’estime consiste à reconnaître l’autre, à n’avoir pas peur de le fréquenter, à le désirer même, ou du moins à ne pas manquer les occasions.
La troisième dimension de la vie de l’Église
La première dimension de la vie de l’Église est l’annonce de la Parole ; la deuxième est la célébration des sacrements ; et la troisième est le service de la charité. À l’Ascension 2013, nous avons eu un rassemblement qui voulait mettre l’accent sur cette troisième dimension.
Entraide alimentaire en été
Au retour de ce rassemblement, nous avons
mis en place, pour l’été 2013, dans le diocèse de Créteil « ASA », c’est à dire, « Août Secours Alimentaire », en lien avec ASA Paris. En effet, la constatation avait été
faite que beaucoup de personnes nécessiteuses ne partaient pas, alors que la plupart des bénévoles étaient en vacances : l’aide et les secours diminuaient.
Lors de la première expérience, plus de 30 000 repas furent distribués à Créteil, et parmi les bénéficiaires, beaucoup de familles musulmanes. Il y avait aussi temps de jeux avec les enfants, des
chants, etc. Donc une relation s’est créée entre bénévoles et bénéficiaires. Alors nous nous sommes dit qu’il faillait rencontrer l’imam. Nous lui avons expliqué la situation et proposé que l’on
travaille ensemble, ce qu’il a accepté. Il nous a soutenus financièrement pour ce projet et nous a envoyé des bénévoles.
Visites réciproques
À Villejuif, en 2014, nous avons créé un autre
centre de charité et distribué 60 000 repas. Des femmes musulmanes ont fait partie des bénévoles. Au début, quelques personnes se sont émues de voir des femmes voilées parmi les bénévoles. Bien
entendu, des relations se sont finalement créées, des liens se sont noués et la mairie nous a soutenus en nous prêtant des tentes car il ne faisait pas beau.
À la fin de l’été, des catholiques sont allés parler au diacre qui coordonnait tout cela. Ils avaient changé de regard sur les musulmanes dont ils se plaignaient au début. La même chose s’était
produite chez les musulmans qui sont allés rencontrer l’adjoint à l’imam.
Un jour je suis allé avec le diacre à la rencontre des familles et des bénévoles. Les musulmans ont demandé s’ils pouvaient visiter l’église. On leur a tout expliqué et ils ont posé beaucoup de
questions.
Ensuite, des catholiques ont demandé à visiter la mosquée avec le curé de la cathédrale. Une trentaine de bénévoles sont ainsi allés visiter la mosquée. Nous avons recommencé en 2015.
Nous ne sommes pas sur le plan de la discussion théologique. Ce sont des rencontres entre catholiques et musulmans qui vivent dans la même ville.
5.
La violence et les événements tragiques de 2015 n’ont pas nui aux relations déjà nouées. Au contraire, elles ont paradoxalement renforcé l’unité de la population sans gommer l’identité de chacun.
Face à la violence
Les bonnes relations se sont poursuivies. Mais
en décembre 2014, un jeune couple juif a été agressé par des musulmans.
Je me suis précipité à la synagogue et le rabbin a été touché et soulagé que je lui manifeste ainsi mon soutien. Il devait apaiser la communauté juive qui était révoltée. Un des responsables du
consistoire est aussi venu. L’imam a été invité, ainsi que le responsable de la mosquée, et nous avons ensemble signé un appel à la paix.
Une marche blanche a été organisée. Nous avons montré que nous ne voulions pas que la population soit divisée.
Les événements de janvier 2015
Vincennes et Saint-Mandé sont dans le Val de
Marne tout à côté de Paris. Les tragiques événements de janvier 2015 ont eu des répercussions dans ce département qui coïncide avec notre diocèse. Il y a en effet à Saint-Mandé une école et un
lycée catholiques dans lesquels sont scolarisés beaucoup d’élèves juifs. Parmi ceux qui ont été retenus en otage, il y avait deux parents de ces jeunes. Des relations se sont nouées à cette
occasion.
Un mois après, il y a eu un service en mémoire des victimes de l’attentat de l’hyper cacher de la Porte de Vincennes. J’y suis allé. J’ai été reçu officiellement à la synagogue, et invité à
prendre la parole, à la suite des responsables politiques et des autorités juives.
Avril 2015 : les chrétiens visés
Les événements que nous avons ensuite vécus à
Villejuif ont été très graves : un jeune homme a tué une jeune femme et s’apprêtait à commettre deux attentats dans des églises de la même ville.
Le jour où le Premier ministre et ministre de l’Intérieur sont venus nous visiter, un rabbin local est venu nous soutenir et une conseillère municipale musulmane est aussi venue nous trouver.
Lors de la marche blanche qui a suivi, musulmans, juifs, coptes et protestants ont rejoint les catholiques le jour du sabbat dans une église, en témoignage de solidarité.
Fin avril, j’ai reçu une lettre de solidarité du grand rabbin et de M. Anouar Kbibech, qui est vice-président du Conseil du Culte musulman en France.
6.
Les croyants n’ont pas seulement intérêt à ne pas se laisser diviser par les violences commises au nom de la foi des uns ou des autres, car elles portent en elles-mêmes l’exigence de résister à la contagion de la haine destructrice. C’est en tout cas la vocation des chrétiens : le Christ a montré que seuls les doux sont vraiment forts.
Restons sereins
J’ai invité à rester en sérénité, même si ces événements sont très graves, parce qu’à travers les attaques, on cherche à nous diviser et le seul rempart que nous avons est un rempart spirituel profond. Il ne faut pas se laisser prendre par ceux qui veulent nous diviser. Le seul rempart est celui de la fraternité. On sait bien que cet homme assassin était en relation avec la Syrie, avec quelqu’un qui lui demandait d’attaquer des églises. Alors on fait le lien avec les chrétiens d’Orient qui sont persécutés, torturés et massacrés, avec les églises détruites, etc.
Unité entre les différentes religions
En juin 2013, l’exposition sur la Bible de
l’ABF (Alliance biblique française), à laquelle la communauté juive a aussi participé, a connu un grand succès. Les musulmans sont également venus à l’inauguration et à la réception qui a suivi.
Des relations se créent de plus en plus. Tous les prêtres ont été invités à la fête juive de « soukot ». Au repas de rupture de jeûne (à la fin du ramadan), l’imam a aussi invité tous
les prêtres.
Après les attentats de début 2015, le maire a dit sa gratitude aux responsables des différentes communautés religieuses pour les témoignages de fraternité qu’ils donnaient devant toute la ville.
Nous avons fait une minute de silence, et l’imam, le grand rabbin et moi sommes tombés dans les bras les uns de l’autre.
Après avoir visité le lycée Léon-Blum de Créteil pour soutenir le professeur qui avait lancé le film « Les héritiers » (ce film sorti en 2014, tourné au lycée Léon-Blum de Créteil,
raconte l’histoire vraie d’une classe comportant nombre d’enfants immigrés en difficulté scolaire. À l’initiative d’un de leurs professeurs, ils retrouvent le sens du devoir, de la dignité et de
la fraternité en participant à un concours national de réflexion sur les camps de concentration nazis.), j’ai été invité à la cérémonie où le Premier ministre a dit que Créteil était un peu un
symbole de la fraternité entre les différentes religions.
La cathédrale de Créteil
Notre cathédrale est vient d’être « déployée » et agrandie. Nous avons reçu pour ces travaux un don de la mosquée et un autre de la synagogue. C’est important à dire dans le contexte dans lequel nous vivons. Le pape François nous invite à persévérer dans ces rencontres interreligieuses.
Les conversions
Dans le diocèse de Créteil, il y a des
familles catholiques avec des enfants qui se convertissent à l’islam. C’est une souffrance qui demande à être écoutée et accompagnée. Il s’agit parfois une conversion radicale à un moment de
rupture.
Nous avons 140 catéchumènes cette année. C’est aussi une souffrance dans les familles musulmanes de voir des conversions au catholicisme.
La situation internationale
On sent bien que l’on vit une certaine solidarité avec les chrétiens d’Orient. Ce qui nous affrontons n’a rien à voir avec ce qu’ils subissent. Nous n’allons pas céder à la pression de ceux qui veulent nous monter les uns contre les autres. Je condamne la situation des chrétiens persécutés dans le monde et je demande une assistance plus grande des instances internationales. Des minorités sont victimes. On ne peut pas accepter cela.
C’est l’amour qui aura le dernier mot
Pour résister à ce déferlement de haine, notre seul chemin est de montrer que l’on ne réussira pas à nous diviser et notre plus grand rempart est celui de l’amour. C’est l’amour qui aura le dernier mot. Le Christ a tué la haine sur la croix. Les vrais forts sont les doux. Ils n’ont pas besoin de chercher à écraser les autres pour s’affirmer.
d'après Monseigneur Michel Santier - aleteia.org
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