1.
« Pas d’amalgame » : le mot, le concept et
l’attitude semblent incontournables aujourd’hui mais ce concept a été radicalisé. On le pousse jusqu’à l’extrême
et jusqu’au déni de réalité pour obliger à distinguer systématiquement les auteurs d’attentats de la religion dont ils se réclament.
« Pas d’amalgame » : le mot, le
concept et l’attitude semblent incontournables aujourd’hui.
En soi, on est tous d’accord pour refuser l’amalgame qui consiste à mélanger des éléments hétérogènes en
vue de créer la confusion. Il s’agit donc d’un procédé malhonnête que l’on ne peut que dénoncer. La difficulté aujourd’hui réside dans le fait que, sous prétexte de refuser l’amalgame, il est
devenu totalement impossible de s’exprimer sur un certain nombre de sujets, dont un qui est au cœur de l’actualité, à savoir les attentats commis au nom de l’islam.
Tout est fait de la part des autorités politiques, religieuses et médiatiques pour séparer
systématiquement les actes que nous voyons - des actes violents commis par des musulmans -, et l’islam lui-même.
Sur le fond, on comprend bien l’objectif pédagogique qui est d’éviter la confusion, pour éviter de
laisser croire que parce qu’il y a des attentats commis par des musulmans, cela devrait jeter l’opprobre sur tous les musulmans. Il va de soi que les actes de quelques-uns ne peuvent engager la
responsabilité de l’ensemble et cette distinction est donc pertinente.
Sauf qu’aujourd’hui, ce concept, poussé à l’extrême, devient absurde
A force de signifier que ces actes commis par des musulmans n’ont strictement rien à voir avec l’Islam,
on rentre clairement dans le déni de la réalité. Le discours officiel, repris dans tous les médias ou presque, délivre une doxa constante sur les auteurs de ces actes qui sont toujours
décrits de deux manières :
Soit ce ne sont pas de bons musulmans : il n’y a donc aucun lien avec Islam
Soit ce sont des cas psychiatriques : il n’y a donc toujours aucun lien
Sur le concept de la folie, quelque part, ce n’est pas faux : chez quelqu’un qui massacre ou égorge une autre personne, il y a bien un déséquilibre psychologique, mais le fait de
systématiquement qualifier ces cas de psychiatriques déresponsabilise les auteurs de ces violences et empêche de se poser d’autres questions, en particulier : pourquoi y-a-t-il autant de cas
psychiatriques parmi les auteurs d’attentats se réclamant de l’islam ?
C’est en fait un déni de réalité de séparer
systématiquement ces personnes de la religion dont ils se réclament
Ce processus de distinction a été clairement imposé dans les medias à propos de l’État
islamique.
Tout d’abord, dans les médias français, on est fermement invité à ne pas utiliser les mots « État
islamique » mais plutôt l’acronyme arabe DAESH que personne ne comprend et qui veut strictement dire la même chose : « État islamique ». C’est encore une manière d’opérer
cette distinction.
2.
Comment peut-on sans cesse dire que l’État islamique n’a rien à voir avec l’islam ? La démarche des djihadistes de l’État islamique consiste justement à appliquer l’islam dont ils se réclament en imitant la vie de Mahomet et de ses premiers compagnons. Ainsi pensent-ils retrouver la gloire des origines.
Comment peut-on sans cesse dire que l’État islamique n’a rien à voir avec l’islam ?
Il y a une espèce d’unanimité à proclamer haut
et fort que l’État islamique n’a rien à voir avec l’islam. Or, ce genre d’assertion nous laisse pantois. Tout d’abord, ce n’est pas nous qui avons donné le nom islamique à l’État
islamique : ce sont eux-mêmes qui se sont auto baptisés de la sorte. Ensuite, tout ce qu’ils font, c’est au nom de l’islam qu’ils le font : ils ont refondé le Califat, ils appliquent la
charia, ils chassent et exécutent tous ceux qui ne se soumettent pas à leur vision rigoriste de l’islam. Précisons au passage que c’est exactement le même islam qui est pratiqué dans la péninsule
arabique, en Arabie Saoudite et au Qatar : l’islam wahhabite. Donc, on voit difficilement comment on pourrait réfuter leur appartenance à l’islam, même s’ils ne sont évidemment pas représentatifs
de l’islam, mais in fine, qui l’est vraiment ?
Certes, ce sont des terroristes. Certes, la plupart des musulmans n’ont rien à voir avec ces gens-là. Certes, on peut même dire que la plupart des victimes de l’État islamique sont des musulmans.
En effet, les chrétiens ont eu la possibilité de fuir en juin et août 2014. D’autres minorités comme les yazidis mais également les chiites et même les sunnites qui ne voulaient pas vivre sous le joug de l’État islamique ont également fui
mais pas tous et ce sont eux qui paient aujourd’hui le plus lourd tribut en termes de violences. Il n’en demeure pas moins que ‘est au nom de l’islam que ces exactions sont
commises.
Les exécutions font partie de la tradition islamique et de la charia
Ils maîtrisent parfaitement les moyens de communication et l’aspect viral des réseaux sociaux, d’où la mise en scène théâtrale de leurs exécutions mais je rappelle au passage que toutes les semaines, il y a également des exécutions publiques au sabre en Arabie Saoudite sur la grande place de Riyad. On peut imaginer que le sabre est tout de même plus « civilisé » que le couteau mais au final, il s’agit bien d’une décapitation. La différence c’est qu’à Riyad, il s’agit a priori de criminels qui ont été jugés par une instance judiciaire, ce qui n’est pas forcément le cas pour l’État islamique.
Leur démarche consiste en l’imitation de Mahomet et de ses disciples
Il y a aujourd’hui une crise au sein de
l’islam par rapport à la modernité avec le constat d’une certaine stérilité, d’une certaine impuissance. Dans cette impasse, beaucoup fantasment sur la gloire des origines, sur la puissance
originelle de la première communauté musulmane et sa capacité historique à conquérir en très peu de temps de vastes territoires. Certes, cette conquête s’est généralement effectuée par la
violence mais à l’époque, l’islam a triomphé et c’est ce que veulent retrouver les djihadistes de l’État islamique, dont les projets territoriaux épousent parfaitement la carte de l’essor de
l’islam au 7ème siècle.
Ce qui compte pour eux, c’est donc de revenir au 7ème siècle et à ce qui est décrit dans les hadiths qui recensent la vie et les actes de Mahomet et de
ses premiers disciples. L’imitation va assez loin puisqu’elle tente de recouvrir tous les domaines de la vie : habillement, hygiène corporelle, polygamie, esclavage, razzias et partage du
butin y compris du butin humain (femmes).
La mise à jour de ces réalités provoque heureusement des réactions parmi les musulmans
En Égypte actuellement, des intellectuels musulmans émettent de plus en plus de réserves sur la pertinence de ces textes, dans la mesure où ils sont acceptés au sens littéral et provoquent ces violences que nous pouvons observer aujourd’hui. Début 2015, le président Égyptien Sissi a carrément mis les pieds dans le plat en interpellant sur ce point précis l’université d’Al Azhar, qui jouit d’une certaine prééminence au sein du monde sunnite.
3.
Les tenants du « pas d’amalgame » font paradoxalement un énorme amalgame en mettant toutes les différentes religions dans le même sac et en nous expliquant qu’elles sont toutes porteuses de violence, ce qui est tout de même inexact. Cet amalgame a évidemment un objectif, celui de discréditer la religion en tant que telle.
Les tenants du « pas d’amalgame » font paradoxalement un énorme amalgame entre les différentes religions
Les mêmes personnes qui crient au « pas d’amalgame » n’hésitent jamais à entretenir une véritable confusion – et pour le coup – un réel amalgame entre toutes les religions, qui seraient toutes également porteuses et génératrices de violence. L’idée est d’attaquer le fait religieux en tant que tel et de délégitimer toute pratique religieuse, quelle qu’elle soit. La cible principale demeure le christianisme, qui reste jusqu’à preuve du contraire la matrice, le fondement civilisationnel de l’Occident.
On met dans le même sac l’islam et le christianisme
On utilise cette violence réelle qui provient
de la radicalisation de l’islam et on fait l’amalgame avec les autres religions, notamment le christianisme et en particulier l’Eglise catholique. Il faut croire qu’on dérange encore… L’objectif
est la relégation de l’Église catholique dans la sphère privée, voire ultra privée, avec la contestation de la possibilité pour les chrétiens de s’exprimer sur la place publique, voire à terme
l’interdiction de toute pratique religieuse.
On est là sur un scénario à plus long terme mais on voit bien que cette idéologie totalement athée et surtout antireligieuse (ce n’est pas la même chose, parce qu’on peut très bien être athée en
respectant le fait que d’autres puissent croire en Dieu) est aujourd’hui à l’œuvre.
4.
L’observation des faits objectifs conduit pourtant à des conclusions radicalement différentes. La violence religieuse qui résulte de l’absence de liberté religieuse concerne davantage les pays à majorité musulmane. Force est de constater que la civilisation chrétienne, en opérant une distinction entre le politique et le religieux, délégitime la violence religieuse.
L’observation des faits conduit pourtant à des conclusions radicalement différentes
Or, lorsque nous observons les faits, à moins
d’être totalement malhonnête, on ne peut pas mettre l’islam et le christianisme sur le même plan. Aujourd’hui, on a en permanence à la Une des médias des attentats qui sont commis par des
musulmans ou des personnes se réclamant de l’islam.
En face, jusqu’à preuve du contraire - ou alors je suis mal informé - je n’ai pas l’impression que le christianisme génère le même genre de dérives ou que des personnes se réclamant de la foi
chrétienne se livrent à ce genre de violences. En termes purement volumétriques, il y a un gap sidéral entre le nombre d’actes et d’attentats commis par des personnes se réclamant de l’islam et
de personnes se réclamant du christianisme. Il n’y a aucune espèce de comparaison possible.
14 des 20 pays où il y a les plus grandes persécutions religieuses sont des pays à majorité musulmane
On peut aussi étudier les choses de manière
plus précise : tous les deux ans, l’AED publie un Rapport sur la liberté religieuse dans le monde. Nous étudions donc précisément les discriminations, quelle que soit la religion –
christianisme, islam, judaïsme, bouddhisme, hindouisme. Cela nous permet d’établir par exemple que la plupart des victimes de l’intolérance religieuse en Irak sont des musulmans : des chiites
tués par des sunnites, et vice versa. Bien entendu, nous le déplorons car quelle que soit l’appartenance religieuse, ces discriminations sont insupportables.
Or, à la lecture de ce Rapport, il apparaît très clairement que les pays principalement concernés par la limitation voire l’absence de liberté religieuse sont des pays à majorité musulmane. Si on
prend les 20 pays où la liberté religieuse est la plus menacée, 14 sont des pays où la persécution religieuse est liée à l’extrémisme musulman.
Dans les six autres, la persécution est liée à des régimes autoritaires, le plus souvent dirigés par un parti communiste comme la Chine ou la Corée du Nord. A contrario, parmi les pays de
tradition chrétienne, il n’y en a aucun qui figure en tête de cette liste. Il n’y a donc pas de comparaison possible.
La liberté religieuse est née au sein de la civilisation chrétienne, et ce n’est pas un hasard
On pourrait aller plus loin pour expliquer cela. Historiquement, la liberté religieuse, c’est un développement du concept de liberté, qui est véhiculé par le christianisme. Et notamment cette séparation de la sphère politique et de la sphère religieuse, que le christianisme a inaugurée. C’est le Christ lui-même qui dès le départ nous invite à rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Cette distinction du politique et du religieux est inscrite au cœur même de la foi chrétienne. Et là on n’est pas uniquement dans le domaine des idées mais sur le constat objectif que c’est bien en Occident, donc dans une civilisation largement issue du christianisme, que ces notions de liberté, de reconnaissance de la dignité de chacun, de l’égalité de chacun, sont nées.
5.
Cette nouvelle adhésion obligatoire au « pas d’amalgame » va de pair avec l’absolutisation officielle de la liberté d’expression. Mais paradoxalement, dans la réalité, la liberté d’expression est de plus en plus limitée par l’utilisation abusive du « pas d’amalgame ».
Le « pas d’amalgame » est aujourd’hui utilisé à tout bout de champ mais l’objectif demeure la disqualification de tout ce qui n’est pas « politiquement correct ».
Les tenants du « pas d’amalgame » utilisent ce concept quand ça leur plaît, avec une visée idéologique précise. Nous l’avons vu en ce qui concerne la sphère religieuse avec l’objectif de délégitimer le fait religieux mais il y a aussi le champ politique. Ceux qui s’éloignent du « politiquement correct » sont immédiatement ostracisés, en général étiquetés de fascistes. Il y a là un amalgame évident, mais cela ne semble pas déranger les idéologues du « pas d’amalgame ».
Le « pas d’amalgame » et la liberté d’expression.
Prenons le cas Charlie, censé être l’aboutissement indépassable de la liberté d’expression. En fait, aujourd’hui, on est obligé « d’être Charlie ». Le simple fait d’émettre des réserves sur Charlie suffit à vous ostraciser. L’apologie de la liberté d’expression sans limites aboutit à une limitation absolue de la liberté d’expression. On marche sur la tête. Là encore, les tenants du « pas d’amalgame » vous condamneront et pas n’importe comment : ils le feront par amalgame !
d'après Marc Fromager - aleteia.org
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