1.
Comme pour tout phénomène humain, à la base,
il y a une personne
humaine. De même que le christianisme vient du Christ, qui est
son fondateur, l’islam vient de Mahomet. Qui était-il vraiment ? Il y a beaucoup de questions posées par l’histoire, mais, selon la vision musulmane traditionnelle, Mahomet a eu, dans la grotte
de Hirâ’ sise dans la montagne de La Mecque, une expérience spirituelle qui l’a conduit à affirmer ensuite fortement le monothéisme dans un milieu
polythéiste.
À l’origine, une personne
humaine
Le christianisme vient du Christ. Les chrétiens disent que le Christ est Fils de Dieu et qu’il est Dieu
: c’est leur affaire ; mais au plan socio-anthropologique, c’est le Christ qui en est le fondateur. L’islam vient de qui ? Il vient de Mahomet. Et qui était Mahomet ? Aujourd’hui, il y a
beaucoup de questions historiques autour de la personne de Mahomet, sur lesquelles je ne peux pas me prononcer, car je ne suis pas un spécialiste. Certains vont jusqu’à se demander s’il a
vraiment existé ou quelle a été son influence réelle. Mais prenons la vision habituelle, traditionnelle, de l’islam : l’islam est un phénomène qui vient d’une personne qui s’appelle Mohammed,
lequel, vers l’âge de 40 ans, a fait une expérience spirituelle. Il se retire dans une grotte de la montagne rocheuse près de La Mecque, et là il fait l’expérience de Dieu et veut communiquer
cela à ses parents et voisins. Il se trouve dans un milieu polythéiste, alors que lui vient pour apporter le monothéisme. C’est l’objet de sa prédication.
Des influences variées dans un contexte judéo-nazaréen
Le contexte du passage sur la grotte explique bien qu’il en revient avec la conception du Dieu unique.
Il a aussi été certainement influencé par certains de ses proches. Le père Azzi a bien montré qu’il appartient à une famille liée aux Nazaréens, c’est-à-dire à des groupes qui ne sont ni juifs ni
chrétiens, qui croyaient que Jésus était un envoyé de Dieu, mais qui ne le reconnaissaient pas comme Dieu. La tradition musulmane parle de Waraqah Ibn Nawfal, « l’évêque de La Mecque », ce qui
est une fausse appellation, mais c’est une personne qui a sans doute eu beaucoup d’influence sur Mahomet. C’est lui qui l’a marié à sa première femme, Khadija sa parente. Qu’il y ait des
influences de croyants ne pose pas de problème. Cela ne nie pas qu’il ait pu avoir lui aussi sa propre expérience spirituelle et qu’il ait voulu la communiquer.
2.
Si l’on juge l’islam aux critères de l’Évangile, il existe des éléments qui pourraient être inspirés par Dieu et d’autres qui ne peuvent pas être de Dieu. Ainsi tout acte de violence, d’injustice, d’inégalité ne peut pas être de projet divin. Je ne dirai pas « l’islam vient de Dieu », ni « c’est l’œuvre de Satan ». L’islam est l’œuvre d’un homme qui a fait une expérience spirituelle réelle, mais qui vivait en son temps, en bédouin, dans un contexte socioculturel particulier, fait de guerres et d’attaques de tribus contre tribus.
Un acte de violence ne peut venir de Dieu
Est-ce que l’islam de Mahomet vient de Dieu ? Comment juger d’un acte ? Pour savoir s’il vient de Dieu, je regarde ce qu’il propose et affirme et, selon la conception que j’ai de Dieu, je dirai : « Oui, cela vient de Dieu », ou : « Non, cela ne vient pas de Dieu ». L’islam reconnaît la Torah et l’Évangile, et si je juge l’islam aux critères de l’Évangile, je dirai qu’il y a des éléments inspirés par Dieu. Il y en a d’autres qui, selon l’Évangile qui pour nous est révélé par Dieu à travers le Christ, ne peuvent pas être de Dieu. Ainsi, aucune violence ne peut venir de Dieu sous quelque prétexte que ce soit. Je peux tout au plus me défendre contre l’agression mais pas plus. Tout acte d’injustice, d’inégalité, ne peut pas être le projet divin.
L’islam est l’œuvre d’un homme dans un contexte particulier
Il nous faut rentrer dans le détail. Je ne dirai pas globalement : « Oui, l’islam vient de Dieu », et je ne dirai pas globalement : « L’islam est l’œuvre de Satan » : je ne le pense pas non plus. L’islam est l’œuvre d’un homme qui a vécu une expérience spirituelle réelle, mais qui vivait en son temps, dans son contexte socioculturel désertique fait de guerres et d’attaques de tribus contre tribus. C’est toute l’histoire que nous apprenons dans la pensée et la littérature arabes ; c’est toute l’histoire que cet homme appelé Mohammed a essayé de transmettre à ses contemporains. Et cela a donné l’islam naissant, qui va cependant évoluer et changer au cours des siècles.
Une religion 100% humaine
Mahomet a fait l’expérience de Dieu, mais aussi du pouvoir, de l’humain. Je ne veux pas le définir comme étant satanique. Ce que je crois, c’est que c’est une religion humaine à 100%, mais qui inclut des expériences spirituelles et des apports du passé juif et chrétien. Il a fait feu de tout bois. Il y a du bon bois chrétien, du bon bois juif et beaucoup de brindilles et de tout ce que l’on veut.
La venue du Messie est l’aboutissement du plan de Dieu et de sa pédagogie
La Bible hébraïque montre la préparation évangélique qui fait faire un cheminement à l’humanité au cours de siècles et de millénaires. La loi de Moïse est un progrès réel, mais elle n’est pas beaucoup supérieure au code de droit d’Hammourabi plusieurs siècles auparavant. Le judaïsme arrive à une étape pour perfectionner l’humanité, à travers une véritable révélation de Dieu, mais, dans la visée hébraïque, c’est pour arriver un jour au Messie qui va apporter le message final. Or le Christ se donne justement comme étant le Messie et il est reconnu comme tel par des juifs et par de nombreux païens. Les chrétiens ne rejettent pas l’Ancien Testament : nous ne sommes pas manichéens. Nous ne disons pas que tout ce qui est avant le Christ n’est rien. Non. C’est l’histoire du cheminement de l‘humanité, mais elle atteint son sommet avec le Messie qui est le Christ.
L’Ancien Testament était une préparation au message final
Et ce message final ne peut pas inclure la violence. La violence, si tant est qu’il doive y en avoir, est spirituelle, pour aider chacun à se dépasser soi-même. Elle est contre le mal qui est en moi : là, je me fais violence pour me dominer, me dépasser, me purifier. Tout cela comme un cheminement qui aboutit au Christ qui est la plénitude de libération de l’être humain. Il a donné sa vie pour que nous vivions en hommes justes, libres, raisonnables, en paix avec tous les hommes et avec nous-mêmes. Nous ne reconnaissons en rien la main de Dieu dans la violence, mais la patience de Dieu s’exerce en enseignant petit à petit la non-violence à l’humanité. Le Christ apporte un dépassement définitif.
La violence ne peut pas venir de Dieu
Si dans l’Ancien Testament il y a des injonctions de Dieu pour attaquer, pour conquérir la Terre promise, c’est une vision correspondant à une époque donnée : le XIIe siècle avant Jésus-Christ. Dieu parle le langage des hommes. Tout comme lorsque la Bible décrit le péché originel à travers des images, il est évident pour tous, je pense, que le serpent ne parle pas. On décrit cela comme dans les fables où les animaux parlent. C’est une manière de s’exprimer. Dire que Dieu a commandé d’user de violence, c’est le langage humain projeté sur Dieu. Ceci était un cheminement : Dieu marche avec un groupe donné pour l’amener à se purifier de plus en plus, pour arriver au Messie qui est le Christ, qui est la vision pure du projet divin dans lequel il ne peut pas y avoir de violence. Contrairement aux idées que l’on essaie de répandre en Occident, la violence n’atteint pas son maximum dans les religions : une telle vue est purement idéologique. Il n’y a qu’à voir ce qu’a donné le communisme ou toutes les idéologies athées modernes. La religion est la dimension spirituelle de l’être humain. En ceci, l’islam est une religion purement humaine. Elle inclut aussi la violence, comme dans la Bible hébraïque qui était le modèle qui a inspiré, bien plus que l’Évangile, la mission de Mahomet.
3.
Mahomet a conduit des hommes à prier et à adorer Dieu, il faut le reconnaître. Mais il a été aussi un chef de guerre et, à ce titre, il a mené environ soixante razzias qui l’ont conduit à tuer, faire tuer, piller, contraindre, réduire en esclavage : les musulmans ne le cachent pas. Ces aspects de violence, de peur, l’interdiction de se poser des questions et le manque de liberté sont de douloureuses atteintes aux droits des personnes et peuvent conduire à un totalitarisme.
L’ordre chronologique ne définit pas nécessairement le mieux
L’islam pose le judaïsme, le christianisme et
l’islam en ordre chronologique ; il entend dire par là que, de même que le christianisme a corrigé et amélioré le judaïsme, ainsi l’islam vient corriger et améliorer le christianisme. Mais les
chrétiens disent que ce n’est pas l’ordre chronologique qui définit nécessairement un mieux ; c’est plutôt le contenu lui-même. L’islam, comme chaque religion, veut être un chemin pour aider
les êtres humains à cheminer vers Dieu et c’est pour cela que l’islam a mis au centre de tout la foi en un Dieu unique, l’adoration de Dieu, la soumission à Dieu. Le mot islam signifie
essentiellement soumission à Dieu.
Il le fait en s’inspirant des deux religions précédentes : le christianisme et le judaïsme.
Les cinq principes qui gouvernent le musulman sont proches de ce que vivent les juifs et les chrétiens
Les cinq piliers de l’islam sont
:
1. La foi en un Dieu unique, créateur, tout puissant, miséricordieux : la profession de foi musulmane « il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu » rejoint celle du credo des chrétiens : « Je crois en
un seul Dieu ».
2. La prière est aussi commune à toutes les religions. Recueillement, prière, louange. Elle se fait cinq fois par jour en islam par la répétition de prières brèves et immuables, inspirées
peut-être de la vie monastique chrétienne qui est faite de sept prières.
3. Le jeûne s’inspire aussi du christianisme et du Yom Kippour juif : tout un mois, le mois de ramadan, du lever au coucher du soleil. C’était aussi la pratique chrétienne, qui était vécue chez
les moines dans le christianisme oriental, du lever au coucher du soleil.
4. L’aumône, qui dans l’islam est destinée aux musulmans seuls, comme chez les juifs vis-à-vis de leur communauté, à la différence de chez les chrétiens qui ont un regard
universel.
5. Le pèlerinage à la Mecque, une fois dans sa vie pour qui le peut.
Tout ceci en soi est un bon projet, mais l’islam n’est pas que cela. C’est un projet qui s’est construit progressivement et qui est devenu global, intégral, pour garantir la relation à Dieu, mais
aussi pour être un projet de société, un projet politique, voire un projet militaire.
Mahomet a été aussi un chef de guerre
Les musulmans ne le cachent pas et la première
biographie écrite autour de 750 s’intitule Le livre des razzias » (Kitāb al-Maghāzī). Cette
biographie de Mahomet mentionne plus de soixante razzias, toutes dans la période de Médine entre 622 et 632, selon la datation traditionnelle de l’islam. Là il y a eu des meurtres, des
décapitations, des pillages, des viols, des mises en esclavage, etc. Il en tirait gloire et a attiré beaucoup de personnes parce qu’il était
vainqueur.
Mais il importe d’être bien conscient qu’il n’y a pas que cela dans l’islam. S’arrêter cinq fois par jour pour prier n’est pas rien. Il est possible que Mahomet ait fait une expérience
spirituelle, comme cela arrive à beaucoup de personnes, et qu’il ait eu en même temps un désir tout à fait humain de conquérir, de gagner sa cité à son idéal. Puis cela s’est développé en un
projet plus large, comprenant toute l’Arabie, puis visant à l’universel.
Dans le développement de l’islam sont intervenus des éléments trop humains
Les développements initiaux vont prendre la forme tout à fait humaine que Mahomet connaissait comme bédouin : des guerres à répétition. Son premier successeur, Abū Bakr, va faire de même, après la mort de Mahomet, alors que beaucoup de tribus arabes souhaitaient se retirer de l’accord passé avec Mahomet et cesser de payer un tribut. Abū Bakr dit qu’il n’en était pas question et décida de faire la guerre aux tribus qui s’étaient retirées. Ses compagnons lui dirent : « Non, tu ne peux pas faire la guerre ». Mais il la fit quand même en prenant pour modèle Mahomet. Il fut vainqueur et tous ses compagnons se rallièrent à son projet, marquant le début du califat. C’est dire que le projet de Mohammed est à la fois spirituel, temporel, social, politique et militaire. Il inclut tout. Et c’est en ceci que c’est un projet humain que l’on peut discuter comme tout autre projet socio-politique.
L’islam s’est ainsi développé comme un projet intégral qui peut facilement devenir un totalitarisme
Le fait de dire que la femme et l’homme doivent se comporter de telle manière, de poser des interdits, de définir tous les détails du comportement humain jusqu’à l’alimentation : tout cela ne laisse pas de liberté et est une forme de totalitarisme. C’est d’autant plus grave que l’islam fait une confusion entre le péché et le crime. La pratique de l’homosexualité par exemple est considérée comme un péché dans toutes les religions. Est-ce un crime ? Faut-il tuer l’homosexuel ? L’islam le condamne à mort. La Bible (Lévitique 18 :22) comme saint Paul disent que c’est une abomination (Romains 1, 26-27). Mais cela ne relève pas du juridique : c’est de l’éthique. En islam, il n’y a pas cette distinction entre éthique, politique et juridique, ce qui crée une forme de totalitarisme. L’islam a tendance à pénétrer partout. À l’époque de Nasser, les frères musulmans ont posé deux conditions à leur ralliement. Leur leader dit à Nasser : « Il faut que tu imposes le voile à toutes les femmes ». Il répondit : « Ta fille est étudiante en médecine et elle n’est pas voilée. Si tu n’as pas réussi à voiler ta fille, pourquoi veux-tu que je voile dix millions de femmes en Égypte ? ». Et à la seconde injonction : « Tu dois interdire aux femmes de travailler », sa réponse fut : « Je connais des femmes qui, pour survivre, doivent travailler ; autrement, j’en fais des mendiantes et je ne veux pas créer un pays de mendiants ».
Le projet islamique veut définir tous les détails
Aujourd’hui au Maroc, si l’on ne pratique pas le jeûne pendant le ramadan, on risque la prison. C’est encore plus vrai en Libye. L’islam entend régler aussi les rapports sexuels entre un homme et sa femme. Dans les recueils de hadiths, il y a là-dessus des règles attribuées à Mahomet lui-même : un chapitre entier sur l’acte sexuel. S’immiscer ainsi dans la vie humaine est une forme de totalitarisme qui me semble inacceptable. La plupart des musulmans refusent cette forme extrême d’islamisme qu’on appelle le salafisme. Salafveut dire les ancêtres. Le salafisme est donc la vision selon laquelle, pour être un vrai musulman, il faut reproduire le modèle du VIIe siècle, retourner aux usages des salaf, les compagnons de Mahomet, et combattre tout ce qui n’est pas conforme à cela, en particulier les usages venus de l’Occident. C’est une religion envahissante.
4.
Aujourd’hui encore, cet héritage de Mahomet crée des ambiguïtés : Daesh se réclame de l’islam et par certains aspects leur attitude correspond à celle de Mahomet, même si elle s’en écarte par d’autres. Qui peut dire où est l’islam authentique ? Aujourd’hui l’islam fait peur, y compris à de nombreux musulmans, mais il leur est très difficile de l’exprimer, à cause de l’emprise globale de l’islam sur la société, sur les personnes et tous les aspects de leur vie.
Daesh est-il l’islam authentique ?
Daesh ne peut pas prétendre être l’islam tout
court. De même que l’on ne peut pas dire que Daesh n’a rien à voir avec l’islam. Les deux positions sont fausses. Daesh s’inspire certainement d’une tranche de la vie de Mahomet en y ajoutant des
choses de chez eux.
Faire la guerre aux mécréants, c’est ce que Mahomet lui-même a fait. Si je dis que les Yazidis sont de mauvais croyants ou même ne sont pas des musulmans, je peux leur faire la guerre. Bien plus,
beaucoup considèrent que celui qui n’est pas sunnite est un mauvais croyant, c’est pourquoi ils font la guerre aux chiites, aux alaouites, aux ismaélites et ainsi de suite. Ils identifient
l’islam authentique avec une partie de l’islam. Il y a sept ans, un congrès à la Mecque rassemblait des savants de différents groupes musulmans. La première décision et la plus importante était :
« Il faut arrêter le takfīr », c’est-à-dire :
déclarer mécréant quiconque ne pense pas comme moi.
Daesh reprend certains aspects de vie de Mahomet
En particulier, combattre quiconque est mécréant. Mais pour eux, il s’agit de toute personne ne pensant pas comme eux. Ce n’est pas une simple guerre pour dominer la région. Elle s’accompagne de terreurs, de massacres. Durant la vie de Mahomet, de tels massacres étaient considérés un peu comme des cas de force majeure. L’attitude de Mahomet dans les guerres est réellement ambigüe : c’était à la fois un homme de guerre et un croyant. Daesh joue là-dessus à fond. Ils usent de la barbarie pour faire peur, comme moyen militaire pour écarter l’ennemi. Personne ne veut plus entrer en Irak. Il y a des égorgements, des scènes pires encore. Il existe des vidéos de prisonniers suppliant de ne pas être tués. « Laissez-moi vivre. J’ai une femme, des enfants ». Alors riant entre eux, les geôliers le tuent, par morceaux. Cette barbarie vise à faire peur et attirer les jeunes au désir de violence comme dans les films. Cela n’a rien à voir avec l’islam ? Non, en un sens, car l’islam ne dit pas : « Soyez cruels ». Mais l’islam dit aussi que la fin (en l’occurrence, adhérer à l’islam authentique) justifie les moyens, comme dans l’islam primitif.
Les musulmans n’osent jamais faire leur autocritique
Il faudrait revisiter l’islam. Il est vrai que
l’islam habituellement ne se comporte pas de cette manière. Mais il est vrai aussi que l’islam enseigne que, pour un bien plus grand, on peut accepter certaines choses qui ne sont pas normalement
bonnes ; et ici, le bien plus grand, c’est l’islamisation de la région.
Il y a un problème typique des musulmans : ils n’osent jamais faire leur autocritique. C’est très rare. Si je suis musulman face à un autre phénomène musulman que je n’approuve pas, la plupart
des musulmans se taisent. Je pense qu’il est temps que tout le monde apprenne à faire son autocritique et dise : « Tel acte est inadmissible absolument, même si c’est mon frère qui le fait, ou
mon père, ou ma mère ».
La conséquence en est que seuls quelques musulmans vont être clairement contre Daesh et affirmer : « Cela n’a rien à voir avec l’islam ; ils ont dénaturé l’islam ». Une majorité se tait,
bien qu’elle ne soit pas d’accord avec eux, sans oser le dire hautement. Et une minorité va au contraire s’enthousiasmer en disant : « Voilà enfin l’islam qui retrouve sa force : ils sont arrivés
avec 30 000 hommes à conquérir une partie de l’Irak et de la Syrie, et si on les laisse faire, ils vont conquérir le monde ».
Un projet de reconquête qui peut séduire par ses symboles et son arrière fond
Ce projet de Daesh, du fait qu’il présente son
action comme n’étant qu’une première étape – car au-delà de l’Orient, c’est l’Europe et le monde entier qui est visé – est vu par certains musulmans comme quelque chose de positif et de
constructif. C’est le début de la reconquête. Daesh joue beaucoup avec les symboles : « l’Irak et la Syrie », cela rappelle les Ommeyades et les Abbasides, qui sont les deux premiers califats.
Leur chef a pris le nom Abū Bakr, lequel était le premier « calife bien guidé ». Ibrahim ‘Awad Ibrahim Ali al-Badri, sans être de Bagdad, se fait appeler « al-Baghdadi », car c’est là qu’était le
califat abbaside, le plus prestigieux de tous les califats. Ce sont des symboles qui parlent aux musulmans et qui disent : « Nous allons rétablir la gloire de l’islam ».
En réalité, derrière tout cela, il y a aussi le fait que le monde musulman se sent avili, humilié.
Politiquement, il n’a pas de poids ; scientifiquement, il ne pèse rien ; culturellement, il n’apporte plus rien à l’humanité depuis six siècles. Il n’a que le pétrole et même cela est
exploité par des compagnies étrangères. Le contraste est cruel avec la période des IXe et Xesiècles, quand le monde
musulman portait haut le flambeau politique et culturel.
L’islam aujourd’hui fait peur à juste titre
Un renouvellement de l’islam est nécessaire,
car actuellement il y a de quoi en avoir peur. On me dira : « Attention, tout n’est pas islam dans ce qui se réclame de l’islam ». C’est aux musulmans de le définir et de dire vraiment que « tel
phénomène n’a rien à voir avec l’islam ». Encore faut-il que ce soit vrai et que ce soit démontré. Et quoi qu’il en soit, il faut résoudre le problème des djihadistes qui prétendent faire des
actes barbares au nom de l’islam, au nom du djihad recommandé par le Prophète.
L’islam tel qu’il se présente sociologiquement aujourd’hui de par le monde fait peur, et de plus en plus. Il fait peur aux musulmans tout autant qu’aux chrétiens ou à n’importe quel être humain.
On parle sans cesse d’islamophobie et les musulmans se présentent en Occident comme des victimes de l’extrémisme politique et religieux occidental. Mais que signifie étymologiquement le mot «
islamophobie » ? Tout simplement « la peur de l’islam ». Oui, il y a sans le moindre doute de l’islamophobie en Occident, au sens étymologique du mot. Le monde craint de plus en plus l’islam,
tout comme une grande partie des musulmans.
Il craint l’islam tel qu’il se présente aujourd’hui un peu partout : plutôt violent, revendicateur, exigeant un traitement particulier, refusant de s’intégrer dans les pays non-musulmans où il se
trouve, refusant d’accepter la « Charte universelle des Droits de l’Homme » et prétendant établir diverses « Chartes islamiques des Droits de l’Homme ».
L’islam est un projet global, ce qui fait sa force et sa faiblesse.
Que peut-on appeler le vrai islam ? L’islam est un projet religieux, spirituel, mais aussi un projet social, un projet de société et un projet socio-politique, avec tout ce que la politique comporte de défense et d’attaque. L’islam est un projet global, ce qui fait sa force et sa faiblesse.
- Sa force parce que le caractère exhaustif de
l’islam peut procurer un sentiment de force et d’union très fort entre tous ses membres.
- Sa faiblesse, parce que c’est aussi un élément qui peut être dangereux, parce que l’on peut identifier la religion avec le projet politique ou militaire ou avec l’expansionnisme. Ou bien on
peut facilement, au nom d’une certaine vision de la société, exclure quiconque ne pense pas comme soi.
L’islam est d’une certaine manière un retour au projet judaïque
Tous ces phénomènes se trouvent dans l’islam contemporain. En cela, l’islam se distingue nettement du christianisme qui est non pas un projet de société politique, mais un projet spirituel pour tous les êtres humains. Ce qui fait de l’islam un retour au projet judaïque dont il est fortement inspiré. En effet, la forme finale de l’islam a été définie à Médine où il y avait trois tribus juives arabes. Il y a eu de fortes tensions avec eux : l’expulsion de deux tribus (les Banū Qaynuqā‘ et les Banū Nadīr), puis le massacre de l’une des tribus, celle des Banū Qurayzah (plus de 600 hommes massacrés et les femmes et les enfants réduits en esclavage). Dans cette religion, l’homme est préféré par Dieu et a autorité sur la femme, qui lui est soumise (Coran 4,34). Il y a une structure hiérarchique basée sur la religion (musulmans/non musulmans), le sexe (homme/femme), le niveau social (libre/esclave). On reconnaît aujourd’hui le type de musulman à sa barbe : si on se taille la barbe d’une manière ou d’une autre, on appartient à tel ou tel groupe, mais la barbe demeure obligatoire puisque Mahomet la portait.
L’islam est un système fermé dont l’abjuration est absolument interdite
Le totalitarisme réside dans la volonté
d’édicter des normes pour les moindres détails. Nous aspirons à la liberté et si la religion ne libère pas, elle est fausse. La liberté n’est évidemment pas de faire tout ce dont j’ai envie, mais
c’est un cheminement pour apprendre à faire ce qui est bon.
Aujourd’hui, la plupart des musulmans rejettent le salafisme et les frères musulmans, mais ils n’osent pas affirmer leur liberté parce qu’ils sont habitués à être soumis et parce que l’islam est
un système fermé. Le rejet de l’islam est impossible : d’après la tradition islamique, l’abjuration est absolument interdite. On peut y entrer mais il n’y a pas de porte de sortie.
Alors que peuvent faire les musulmans qui perdent la foi ? Ils peuvent être des crypto-athées et ils le sont par millions. Parmi mes collègues musulmans avec qui j’enseigne au Liban, je demande
parfois s’ils sont des musulmans pratiquants. Beaucoup me répondent: « Je suis musulman sociologiquement, mais je ne crois pas et je ne pratique pas ». Il ne le dira pas en public, car c’est
impossible et c’est indécent.
Beaucoup ne se reconnaissent pas dans l’islam, mais ne lavouent pas à cause du manque de liberté. Une solution est de faire semblant. Une autre est de se cacher, de faire certaines choses dans un
quartier non musulman. Une autre piste est d’immigrer.
Pour abandonner l’islam pour une autre religion, il faut tout quitter
On aide les convertis à quitter le pays quand c’est possible. Il existe des groupes d’ex-musulmans en Occident, mais c’est impossible ailleurs ; même à l’intérieur d’un pays aussi avancé que la Tunisie, il est difficile d’être athée déclaré ou a fortiori de se déclarer chrétien. Le seul pays où un musulman peut se dire chrétien, c’est le Liban. C’est un pays mixte et la présence des chrétiens (qui étaient majoritaires il y a 60 ans) a laissé sa marque : la liberté de conscience existe comme nulle part ailleurs dans le monde musulman aujourd’hui. Chrétiens et musulmans devons travailler ensemble pour aider l’islam à sortir de l’impasse qu’il affronte, dont le monde souffre, l’islam étant tout de même une des plus grandes religions du monde. On ne peut certainement pas se réjouir des malheurs de l’islam, mais l’amitié peut contribuer à faire progresser les mentalités vers une religion respectueuse de la liberté de conscience.
5.
Les chrétiens croient au Christ et le reconnaissent comme l’aboutissement du cheminement de
l’humanité vers Dieu : celui qui nous a permis de
reconnaître en chaque être humain un frère, une sœur et de savoir qu’au-delà de la mort, il y a la vie en Dieu et avec lui. Ils pensent que le Christ doit être annoncé à tous, et aussi aux
musulmans, parce que tout homme a le droit d’accéder à la plénitude de la vérité et d’en vivre pour sa plus grande joie.
De quel droit pourrait-on refuser le Christ à quelqu’un
Est-il nécessaire, puisque les musulmans sont des croyants, de leur annoncer l’Évangile et le Christ ? Si l’on pense que toutes les religions sont bonnes et sont équivalentes, la réponse est définitivement non. Mais ce n’est pas le point de vue chrétien. Comme je le disais précédemment, il y a un cheminement de l’humanité et nous pensons que le christianisme est objectivement l’aboutissement du cheminement le plus spirituel de l’humanité. Il est vrai que chaque religion peut dire la même chose : encore faut-il le démontrer à partir de principes admis par tous. C’est le cas du christianisme par le fait qu’il va au-delà des tensions humaines pour créer une société universelle. « Il n’y a plus, dira saint Paul, ni juif ni Grec [c’est-à-dire païen], il n'y a plus ni esclave ni libre, il n'y a plus ni homme ni femme, il n’y a plus que le Christ qui est tout en tous » (Galates 3,28).
Le christianisme est l’aboutissement du chemin de l’humanité
Si je le crois vraiment, je voudrais pour
toute personne que je rencontre lui donner le meilleur de ce que j’ai et c’est cela que l’on appelle annoncer l’Évangile, la Bonne Nouvelle : c’est que nous sommes tous frères, tous égaux, et que
nous ne formons qu’une seule famille.
Qui nous a permis de reconnaître en chaque être humain, un frère, une sœur ? C’est le Christ, au travers de sa vie donnée goutte à goutte et sur sa croix. Nous avons reçu un message qui vaut pour
moi et pour tout être humain qui voudra l’accepter : annoncer l’Évangile. C’est dire qu’au-delà de la mort, il y a la vie ; et que la vie, c’est donner sa vie les uns pour les autres.
L’islam a des éléments de cette sagesse. Mais par exemple la fraternité existe seulement entre musulmans. Tous les musulmans sont frères, les autres non.
La société musulmane prévue par Mahomet se divise en trois catégories
- Il y a les croyants, qui sont les
citoyens.
- Les exclus, que sont les incroyants et qui n’ont pas de place dans la cité : soit ils se font croyants, soit ils sont chassés ou
tués.
- Entre deux sont les juifs et les chrétiens, qui sont des croyants imparfaits : ils ont le droit de vivre avec les musulmans à condition de payer un tribut.
On retrouve la structure de la cité grecque, composée du citoyen qu’était l’Hellène, du barbare, qu’il faut éliminer, et du métèque (metoïkos), celui qui a le droit de vivre dans la maison. C’était une vision sociologique et politique. L’islam a transposé cela au
plan religieux, ce qui est encore moins supportable puisque c’est la conscience qui est alors engagée. En tant que croyant chrétien je suis sensé me soumettre, être humilié comme dit le Coran
(5,29).
d'après le père Samir Khalil Samir - aleteia.org
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